Le Bénin, comme le reste du monde, est confronté à la crise sanitaire déclenchée par le coronavirus (COVID 19). Si le Gouvernement s’emploie, le Président de la République en tête, à apporter des réponses pertinentes aux préoccupations des populations, veillant à concilier impératif de sécurité sanitaire et nécessité absolue de préserver l’économie, il reste que le Chef de l’Etat ne s’était pas encore, jusqu’ici, officiellement prononcé sur le sujet. Que pense-t-il ? Comment coordonne-t-il la riposte du Bénin à l’épidémie ? Quelles sont ses réflexions par rapport à la suite ? Autant de préoccupations auxquelles Patrice TALON a bien voulu répondre face à Angela KPEIDJA, journaliste spécialiste des questions de santé sur la télévision nationale, l’ORTB. Symbole pour symbole, l’entretien s’est déroulé dans le bureau du Président, signe de son assiduité au travail.
Monsieur le Président, bonjour et merci de recevoir l’ORTB dans votre bureau, symbole du siège de vos inspirations, de vos réflexions et surtout de vos décisions.
C’est pour moi un privilège dont je ne saurais abuser en ces temps si difficiles.
Monsieur le président, les circonstances nous interdisent la promiscuité et je voudrais m’assurer que vous m’entendez bien malgré la distance qui nous sépare.
Journaliste : Monsieur le Président, depuis des semaines, le Bénin, à l’instar des autres pays du monde, est confronté à un choc sanitaire sans pareil pour notre génération, pourquoi êtes-vous resté silencieux depuis ce temps ?
Patrice TALON : Mme KPEIDJA, vous avez dit choc sanitaire et vous avez bien raison.
La situation sanitaire et le risque sanitaire auxquels nous soumet le coronavirus sont préoccupants, sinon très graves. Mon gouvernement et moi-même avons pris la mesure de l’enjeu.
Si mes compatriotes n’ont pas encore eu l’occasion de m’entendre en personne, c’est bien parce que je suis à la tâche, jour et nuit, minute après minute.
Je m’implique personnellement dans tous les segments de la riposte :
– la collecte des données aux plans national et international ;
– leur analyse ;
– l’appréciation des impacts sanitaires, médicaux, financiers, économiques et sociaux ;
– les projections à court et moyen termes ;
– la stratégie et la mise en œuvre d’actions ;
– le suivi et l’évaluation des recommandations et des opérations.
Je sais combien il est indispensable, utile, de parler pour expliquer, rassurer et obtenir l’adhésion de tous à la stratégie et aux décisions, mais sachant que la plupart des Béninois nous font confiance, j’ai consacré mon esprit à l’analyse sereine de la situation et de toutes ses implications.
C’est pour moi l’occasion de remercier l’ORTB de me donner l’occasion de vous dire, Mme, à vous et à mes compatriotes, que la situation est vraiment grave et que le risque est grand.
Mais rassurez-vous Mme, je voudrais pouvoir rassurer mes compatriotes que, empêcher le coronavirus de se propager au Bénin et d’y faire beaucoup de victimes, est à notre portée.
Les actions engagées par le Gouvernement et les mesures prescrites sont susceptibles de nous faire gagner, si chacun de nous joue bien sa partition.
Journaliste : Monsieur le Président, ne trouvez-vous pas que votre Gouvernement et vous-même avez manqué de promptitude dans la prise des décisions et que celles-ci ne sont pas aussi radicales qu’il faut ?
Patrice TALON : La ligne de conduite du Gouvernement est la définition et la prescription des actions et mesures de riposte effective, ainsi que leurs timings réalistes de mise en œuvre efficace.
Pour donner des résultats palpables, il y a des mesures qui doivent être mises en œuvre par package.
Certaines mesures n’ont pas le même degré de pertinence partout et d’autres nécessitent même que les acteurs concernés disposent d’un minimum de temps pour s’apprêter.
Il y a aussi des actions et des mesures qui ne sont pas soutenables trop longtemps, dans notre contexte et pour lesquelles il faut trouver le bon timing de mise en œuvre.
Vous savez, pour accompagner les réductions de mobilité ou les confinements, les pays riches débloquent des sommes faramineuses et certains font même recours à des solutions monétaires à peine déguisées, voire la planche à billets pour prévenir le chaos socio-économique inévitable autrement.
Le Bénin notre pays, a l’instar de la plupart des pays d’Afrique, ne dispose pas de ces moyens.
Et si nous ne tenions pas compte de tout cela, nous pourrions dans notre action, déclencher un chaos qui remettrait même en cause le minimum impératif de la lutte.
Il y a également un autre facteur très déterminant que le commun des commentateurs ne peut percevoir, c’est l’après Covid ! Parce que ce combat, nous allons le gagner forcément.
Nous devons donc combattre le mal et le vaincre, mais sans compromettre notre survie après victoire.
Si nous prenons des mesures qui affament tout le monde à la fois et trop longtemps, elles finiront très vite par être bravées et bafouées sans avoir permis d’atteindre les objectifs.
Je vous donne un exemple concret :
Contrairement aux citoyens des pays développés d’Amérique, d’Europe et d’Asie, la grande majorité des Béninois ont un revenu non salarial. Combien de personnes au Bénin ont un salaire mensuel et qui peuvent attendre deux, trois ou quatre semaines même sans travailler et vivre des revenus du mois ? Combien ?
Comment peut-on donc, dans un tel contexte où la plupart de nos concitoyens donnent la popote avec les revenus de la veille, décréter sans préavis, un confinement général de longue durée ?
Les mesures que nous venons de prescrire et qui vont entrer en vigueur dès demain lundi, nous permettront d’empêcher la propagation du virus à l’intérieur du pays, tout en préservant l’activité économique dans une partie du territoire, et en réduisant seulement la mobilité de certains acteurs dans la zone critique.
C’est un exercice très difficile qui requiert sérénité, sang-froid et perspicacité.
Nous avons pris les mesures qui s’imposent avec sens de responsabilité et discernement.
Nous veillerons donc sans complaisance à leur respect par tous.
Journaliste : Alors finalement monsieur le Président, quelle est votre sincère et intime conviction, Monsieur le Président, par rapport à ce qui nous attend à court et moyen terme ?
Patrice TALON : Ce que je voudrais dire à mes compatriotes est que la menace est sérieuse, elle est grave, mais que nous avons collectivement les moyens d’y faire face.
Notre survie individuelle et collective est entre nos mains, elle est entre les mains de chacun de nous pris individuellement. Chacun de mes compatriotes, vous et moi, pris individuellement, est désormais responsables de notre survie. Nous n’avons pas besoin de beaucoup d’intelligence, de beaucoup de moyens, de beaucoup d’imagination. Il nous suffira simplement, à chacun, de respecter les mesures, les prescriptions, qui ont fait leurs preuves par ailleurs.
Cela nécessitera beaucoup de sacrifices certes, d’énormes sacrifices pour certains, mais à la fin, chacun sera fier d’avoir joué sa partition, d’avoir lui aussi payé un certain prix, et d’avoir vaincu lui aussi le coronavirus.
Nous sommes une grande nation, nous allons en donner la preuve une fois encore en éliminant le coronavirus de notre pays sans grand dégât. J’y crois. J’invite mes concitoyens à y croire parce que, je veux le répéter, les moyens d’y parvenir sont à notre portée. Ils dépendent de chacun de nous. Nous sommes capables chacun de les mettre en œuvre, de les respecter, avec juste un peu de volonté, de la discipline et l’envie, la volonté de consentir chacun un peu de sacrifice, pour nous pris ensemble et pour nous individuellement.
Ma conviction pour demain est que chacun de mes compatriotes Béninois est capable de respecter les mesures, de faire l’effort qu’il faut. Ma conviction pour après-demain est que nous allons gagner, et que nous allons continuer notre marche vers le développement.
Journaliste : Nous sommes au terme de cet entretien, Monsieur le Président de la République. Je vous remercie.
Patrice TALON : Merci Mme et je vous invite à donner l’exemple autour de vous. Et si chacun peut faire pareil, faire ce qu’il faut, ce qui est prescrit et en donner l’exemple, nous allons collectivement y arriver.
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