Le Journal de NOTRE EPOQUE

Journal béninois d’investigation, d’analyses et de publicité – Récépissé N° 953/MISPCL/DC/DAI/SCC du 27 mars 2007

La circulation anarchique des armes, vecteur de l’insécurité au Sahel (Une Tribune de Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle?)

C’est une question récurrente qui taraude les? esprits des peuples victimes des attaques massives des groupes terroristes au Sahel, mais aussi les décideurs locaux et les observateurs internationaux : d’où proviennent ces armes qui ensanglantent cette région d’Afrique??
Comment ces groupes terroristes parviennent-ils à s’armer alors que, non seulement ils sont soumis à des embargos décidés par l’ONU, mais, par ailleurs, ils évoluent dans des zones géographiquement enclavées et peu accessibles pour un ravitaillement matériel de guerre??
Il ne fait guère de doute que, si les sources d’approvisionnement en armes qui permettent aux différents groupes djihadistes de se pourvoir en ?armes et de se constituer en force déstabilisatrice contre les armées étatiques étaient durablement asséchées, on assisterait mécaniquement à une baisse substantielle des attaques terroristes dans le Sahel.
Mais, comme le révèle le Conflict Armamant Research (CAR) dans son rapport de mai 2025, la plupart des armes de ces mouvements terroristes proviennent des saisies qu’ils opèrent à l’issue d’attaques lancées contre les forces de défense et de sécurité des armées régulières. Il est devenu courant, dans les réseaux sociaux ou dans les dépêches d’agences de presse, de voir ces groupes terroristes au Sahel exhiber du matériel de combat saisi après des attaques lancées contre des forces régulières, y compris des véhicules qui leur permettent de monter en puissance en termes de mobilité ou de repli tactique lorsqu’ils font face à des contre-attaques vigoureuses. 
Cette communication de guerre leur permet, d’une part, de saper le moral des forces adverses et de créer un effet dissuasif au sein de leurs rangs, mais, en outre, de répandre la peur au sein des populations et discréditer ainsi l’État central.
S?tratégie des groupes djihadistes
Ce mode d’approvisionnement en armes de guerre repose sur deux facteurs que ces groupes mettent à contribution pour gagner en efficacité. 
Le premier concerne l’imprévisibilité de leurs attaques, qui est le propre de la guerre asymétrique. Ils privilégient les embuscades dans les zones faiblement peuplées. Par conséquent, du fait de cette faible densité en population, ils s’installent incognito près des axes que les forces régulières fréquentent à l’occasion de leurs patrouilles régulières.
Ces terroristes agissent donc par effet de surprise et provoquent une débandade dans les rangs des armées régulières qui quelquefois, hélas, abandonnent des quantités substantielles de leur matériel de combat?!

D’autre part, les groupes terroristes tirent parfois profit du fait que certains combattants au sein des forces armées régulières ne sont pas des soldats de métier, à l’instar des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) au Burkina Faso. C’est par ailleurs la raison pour laquelle, dans leurs rangs, on enregistre de très nombreux décès ou captures de prisonniers depuis que ce mode de conscription a été officialisé au Burkina Faso.
Au-delà de ces stratégies de terrain pour l’acquisition d’armes de combat, les terroristes tirent également profit de l’environnement régional dans lequel ils évoluent et où circulent de grandes quantités d’armes de combat, à savoir l’Afrique de l’Ouest. Comme le souligne le rapport 2025 du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), « les transferts d’armes vers l’Afrique de l’Ouest ont fortement augmenté au cours des quinze dernières années, en raison de la détérioration du contexte sécuritaire. Les importations d’armes combinées des États d’Afrique de l’Ouest ont presque doublé (+82 %) entre 2010-2014 et 2020-2024. »
Chaos libyen
Le rapport du CAR souligne également une donnée géopolitique que les médias internationaux et les grandes institutions qui se penchent sur l’insécurité au Sahel ont tendance à ignorer au fur et à mesure que s’égrènent les années, à savoir la déstabilisation de la Libye en violation de la Charte des Nations unies et du mandat de son Conseil de sécurité sur la « responsabilité de protéger ». 

Si les armes en provenance de la Libye et qui circulent au Sahel sont estimées à 7 %, force est de reconnaître que l’effondrement soudain et brutal du régime de Mouammar Kadhafi a levé les verrous et toute capacité de dissuasion à l’endroit de groupes terroristes qui ont ainsi eu la voie ouverte vers le Sahel et ont pu procéder à des recrutements de seigneurs de guerre rompus au maniement des armes les plus modernes.
Le CAR reconnaît à cet égard que « la nature opportuniste de l’acquisition d’armes par les salafistes djihadistes dans le Sahel central se manifeste également par la présence dans leurs arsenaux d’armes héritées de conflits antérieurs. Ces armes continuent de circuler dans la région au-delà de leur utilisateur initial, bien après la fin des conflits auxquels elles étaient associées et en dépit du fait que les contextes et dynamiques politiques ayant initialement permis leur approvisionnement aient changé ou se soient atténués. »
De tout ce qui précède, au-delà de la prolifération des armes au Sahel et de leur appropriation par les groupes djihadistes, le rapport du CAR pose la question des conditions d’un retour à la paix dans cette région. Cette paix n’est guère possible sans une stratégie de pacification globale du Sahel, voire de l’Afrique de l’Ouest, et qui ne saurait être conduite par un seul État.
        

Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle?