Le Journal de NOTRE EPOQUE

Journal béninois d’investigation, d’analyses et de publicité – Récépissé N° 953/MISPCL/DC/DAI/SCC du 27 mars 2007

BurkinaFaso : Une journée avec Briana, l’étudiante aide-maçon (Femme battante)

Cadette mais devenue aînée d’une famille nombreuse de par son courage et sa volonté de donner le sourire aux personnes qui lui tiennent à cœur. Briana est une jeune étudiante inscrite en Histoire à l’université Joseph Ki-Zerbo. Contrairement à de nombreux étudiants et étudiantes qui sont réguliers dans les amphithéâtres pour prendre les cours comme le veut la pratique, chez elle, c’est le contraire. La majorité de son temps, elle la passe sur les chantiers de construction. Elle mélange le ciment et fait passer les briques. Ouoba Bibata, Briana pour les intimes, âgée de 25 ans, est aide-maçon. Elle est manœuvre afin de se prendre en charge. Sans le vouloir, les études deviennent son activité secondaire. Le mardi 2 mars 2021, elle nous emmène sur un de ses lieux de travail, à plus de 100 kilomètres de Ouagadougou, à Soaw dans la région du Centre-Ouest.

Il est 7 heures, le mardi 2 mars 2021, à la gare de Tampouy. Briana, très matinale, est déjà là à nous attendre. Nous arrivons 15 minutes après elle. Notre moto est embarquée sur un mini car, généralement appelé ‘’Dina’’ visiblement en bon état. Dieu merci, nous nous sommes dit. Mais seule la route pourra infirmer ou confirmer notre jugement. La gare fourmillait déjà de monde. Les jeunes apprentis des mini cars ne ratent aucune occasion pour rabattre les clients. Le nôtre n’est toujours pas plein. Seule condition pour le départ. Il est 8 heures. Le car ne démarre toujours pas. Briana est impatiente de rejoindre son équipe de travail. L’idée de perdre une journée pour se faire de l’argent commence à agacer la jeune fille. Pour ne pas sentir le temps passer, nous abordons la conversation.

Dans un bref récit, la jeune fille commence à nous raconter sa vie au village lorsqu’elle était bergère derrière les moutons d’un père polygame.

« J’ai failli ne pas faire l’école. Mon père a laissé lorsque j’avais 09 ans pour aller m’inscrire. On m’a refusé à cause de mon âge. Chaque jour, je partais dans la cour de l’école avec mes animaux. Un jour, le maître qui m’avait toujours remarqué m’a demandé si faire l’école comme mes camarades, m’intéressait, j’ai répondu par l’affirmative. Il m’a dit alors de venir demain pour commencer les cours avec les autres. Arrivée, j’ai dit à mon père que demain, il faudrait qu’il trouve quelqu’un d’autre pour ses moutons parce que moi j’irai à l’école. Il a renchéri en disant que personne ne me prendra à l’école avec mon âge. Le lendemain, il était étonné de voir que ses moutons étaient toujours dans l’enclos jusqu’à 10h. C’était le début de ma scolarisation », explique la jeune fille avec le sourire.

Il est 8 heures 30 minutes. Le chauffeur, un quinquagénaire monte dans le mini car et démarre. Briana très joyeuse va pouvoir aller rejoindre son équipe. La voiture ronronne. Les passagers se bousculent. Une surcharge n’est pas loin. Après quelques minutes, la portière des passagers est toujours fermée. Curieuse, Briana demande au chauffeur, poliment, si ce n’était pas l’heure du départ. Elle reçoit comme réponse, un silence et un regard loin d’exprimer l’amour. Nous sommes à Ouagadougou, la courtoisie dans le Code de la route semble être la principale leçon que les conducteurs ont séchée pendant leur formation à l’auto-école. A 9 heures, l’apprenti du chauffeur, plus jeune, mais visiblement affaibli, a déjà jeté 3 mégots de cigarette rien que pendant le temps d’attente. Il ouvre la portière et nous demande d’entrer. Il est l’heure de partir. Place est prise. Il faut jouer des coudes et des pieds pour avoir un petit espace de confort. On se salue entre voisins de voyage. « Soaw est loin hein », murmure notre voisine visiblement énervée par l’attente.

Enfin. Le chauffeur appui sur l’accélérateur sans tenir compte des supplications du vieux tacot retapé. Il a environ 100 kilomètres à parcourir. Il faut y aller vite afin de pourvoir revenir et se faire des recettes à nouveau. Nous sommes 26 dans le bus. Le transport coûte 2500F CFA.

Un périple…

A la sortie nord de Ouagadougou, sur la route nationale n°2 (RN2) reliant la capitale politique à la ville de Ouahigouya, la même route qui même à Soaw, le vieux tacot avec son système de freinage à sèche, laisse un grincement, mais parvient à s’arrêter pour un contrôle de police. Une occasion pour les vendeuses à la sauvette de se faire des sous. L’agitation fait sourire Briana. « Tu n’es pas habituée à voir ça ? », lui avons-nous demandé. « Qui ? Moi ? Habituée à ça ? J’ai vendu les fruits au péage de Fada N’Gourma lorsque j’étais en 4e », répond la jeune fille. Nous regardons fixement Briana. Etonnement ! Combien de cordes a-t-elle à son arc ?

Elève en classe de 4e, prise en charge uniquement par sa mère sans le soutien de son père qui non seulement voyait l’école d’une fille comme une perte de temps mais aussi à bout de force face aux dépenses de sa trentaine d’enfants, Briana a compris très tôt qu’elle devait renoncer à certains luxes de la vie si elle tenait à terminer son cursus scolaire. Pendant les weekends, aidé par son jeune frère, elle vendait des fruits et du déguê au péage afin de contribuer à payer non seulement ses dépenses scolaires mais aussi la popote de la maison.

Alors que nous sommes plongés dans nos pensées, imaginant la vie tumultueuse de la jeune fille, le car s’arrête. « Descendez ! », lance l’apprenti. Il y a une panne. Nous sommes à Siglé. Un fait qui vient éclipser notre jugement sur l’état de santé de notre moyen de transport. L’apprenti, la mine froissée, cigarette à nouveau dans le coin de la bouche, étale des branches de Nimier en guise de triangle de sol. Les passagers trouvent refuge sous les arbres longeant la voie rouge. « Ya pneu wa n’poogué » (c’est le pneu qui est crevé en langue mooré), lance l’apprenti d’une voix roque.

L’aventure au Niger dès l’âge de 17 ans…

Briana, sous l’un des arbres semble pensive. Cette journée est en train de s’égrainer. Elle ne veut toujours pas perdre une journée de travail. Téléphone en main, elle tente de joindre son équipe afin de la rassurer qu’elle est en route. Elle monologue en hochant la tête. En une dizaine de minutes, la roue est changée. Le tacot redémarre. Les passagers reprennent place. Briana a hâte de rejoindre son chantier. La voiture prend la route de Soaw et les échanges se poursuivent avec la jeune fille. Elle se met à nouveau à nous faire le récit de sa vie lorsqu’elle était encore à Fada N’Gourma. Après la vente des fruits lorsqu’elle était en classe de 4e, elle va embrasser un autre chemin, tout en restant à l’école. La maçonnerie. Mais avant de s’essayer à ce métier, elle se rendait pendant les vacances à Niamey au Niger pour travailler en tant qu’aide-ménagère. Elle n’avait que 17 ans à l’époque.

« C’est en 2013 que j’ai commencé la maçonnerie. J’étais en classe de 3e. La santé de ma mère avait commencé à se dégrader et elle n’arrivait plus à assurer toutes les dépenses de la maison. J’ai travaillé pour la première fois sur un chantier à Fada avec mon frère, maçon, grâce à un entrepreneur nommé Alidou Nassouri qui a bien voulu m’apprendre le métier. Je lui suis très reconnaissante », commence Briana. Au début, se rappelle la jeune fille, certains propriétaires de chantiers ont manifesté une réticence à ce qu’elle participe à la construction de leurs bâtiments. Et pour cause, explique Briana, « non seulement je suis une femme mais je suis aussi très jeune ». Mais Briana a tenu bon. « Je me suis dit qu’ils avaient tort car tous les jeunes n’avaient pas les mêmes privilèges et toutes femmes ne se fixent pas de limites », nous explique-t-elle. La ténacité de la jeune fille lui a donné raison par la suite. « Ils étaient satisfaits de mon travail à tel enseigne qu’un jour, que je recevais souvent de l’argent gratuitement », relate Briana avec une pointe de satisfaction au bout d’un rire.

La naissance d’une passion…

Là, c’est une nouvelle passion qui vient de naitre en Briana et elle prévoyait poursuivre ses études dans une école technique après l’obtention de son BEPC. Elle travaillait donc avec son frère et prenait en charge la popote tout en poursuivant son cursus scolaire. Mais un fait est venu bouleverser la vie de jeune fille. « La santé de ma mère c’était aggravée, explique-t-elle. Suite à un accouchement mal fait, son ventre pourrissait de l’intérieur. Je suis restée à ces côtés pendant des mois à l’hôpital. Non seulement je ne pouvais plus aller travailler mais aussi je ne pouvais plus aller à l’école. J’ai échoué cette année au BEPC. C’était ma première fois d’échouer à l’école. C’est aussi la seule fois ». Après ce témoignage, un moment de silence s’est installé. Nos yeux se croisent et Briana lâche un sourire. « Ça ne te rend pas triste tout ça ? », lui rétorquons-nous. « Je ne sais pas me morfondre », lâche-t-elle toute souriante.

Il est 13 heures 30 minutes lorsque nous arrivons à l’entrée de Soaw. Le véhicule fait un arrêt. Il y a un contrôle. Il faut présenter la Carte nationale d’identité burkinabè (CNIB). Nous sommes contents de savoir que même au fond du Burkina Faso, dans les zones qui n’ont pas connu d’attaque terroristes, le niveau de sécurité est élevé. Notre joie sera de courte durée. A notre descente, il n’y a personne pour nous contrôler, pourtant une plaque est posée au sol avec enseigne « Alte ». Le chauffeur nous fait savoir qu’il faut aller dans le bâtiment de la brigade pour se faire contrôler. Drôle de contrôle s’il appartient aux passagers d’aller de leur gré pour se faire contrôler. Sans se poser de questions, Briana a devancé tous les passagers à la Brigade. Son empressement se comprend. Elle veut sauver au moins sa demi-journée. Le véhicule qui avait eu un petit moment de repos, reprend sa respiration difficile mais cette fois pas pour longtemps.

 

13 heures 45 minutes. Nous sommes au marché de Soaw. Sans se reposer, nous embarquons sur notre moto. Direction, le chantier. Ce n’est pas loin, mais il faut traverser une petite forêt. Après quelques minutes, il est exactement 14h lorsque notre moto s’éteint sur le chantier. Comme des enfants qui, après une demi-journée sans leur mère, voient cette dernière arriver avec un petit cadeau du marché, tous les collègues de Briana émettent un cri à la vue de la fille. Tout le monde arrête de travailler et taquine le membre de l’équipe.

Une fille dans la peau d’un homme…

Pour un voyage qui devait nous prendre deux heures de temps, il aura fallu cinq heures pour que Briana rejoigne son chantier. Une demi-journée perdue. Mais la jeune fille ne perd pas espoir. A peine arrivée, sans transition, sans même que nous ayons le temps de nous présenter à son équipe, à la vitesse d’un éclair, Briana était déjà en tenue de travail. Dans l’ambiance et la bonne humeur, elle accélère. On comprend qu’en plus d’être travailleuse, elle attire aussi la bonne ambiance. On dirait une amazone de Diaba Lompo. La jeune fille touche à tout. Elle mélange le ciment. Elle donne les briques. Elle mouille le ciment et charge le sable. Elle travaille.  Ce courage, d’où elle le tire ? Surement en bordure des rives de la Kompienga.

Briana sur le chantier fait tout ce que font les hommes

« J’ai rencontré cette équipe lorsqu’elle travaillait au campus de Kossodo (à Ouagadougou). Elle construisait le mur. Je suis allée les voir pour travailler avec eux. Au début, ils ont refusé. Le patron était très réticent. Un employé a demandé à ce qu’on me donne une chance. Le patron a accepté mais a souligné à celui qui m’a soutenu que son salaire serait réduit si jamais je n’étais pas compétente. C’est comme ça que tout est parti. C’est ainsi que les étudiants ont su que je travaillais en tant que maçonne. C’est également dans ces conditions que l’ancienne, directrice du CENOU, le Dr Rasmata Bakiono qui est venue voir le mur en construction, m’a aperçue et m’a prise en photo. Depuis ce jour-là, cette dame qui est devenue ma mère ne cesse pas de me soutenir », nous explique-t-elle rapidement avant de partir remplir une brouette de sable. Son chargement a la même taille que celui des garçons. Avec une puissance dont seules les braves femmes de la région du Gulmu ont le secret, elle fait décoller brouette, pleine de sable.

“L’école est obligatoire mais le travail aussi est obligatoire pour moi” Briana

Voir Briana travailler vous donne envie de chanter ses louanges. Lorsqu’elle donne les raisons qui l’ont poussé à embrasser la maçonnerie, une compassion naît automatiquement et révèle la valeur de son âme. « Il faut que je travaille pour ne pas que mes sœurs subissent le même sort auquel j’ai échappé mais dont plusieurs jeunes filles de la région de l’Est n’ont pas échappé. Je parle du mariage précoce et forcé. Dès ma classe de CM2, mon père qui n’a jamais considéré mon école m’avait déjà trouvé un mari. Réussir à l’école était la seule alternative pour moi d’échapper à ça. Et lorsque j’ai eu le BAC, j’ai appelé mon père pour lui dire. Il était fier. Il est l’est toujours d’ailleurs car je suis la seule fille du village à avoir atteindre ce niveau d’étude. Je ne veux pas que mes sœurs s’adonnent à des mauvaises pratiques », raconte Briana.

Même si Briana aime ce qu’elle fait, même si grâce à son travail en tant que manœuvre, elle parvient à prendre en charge les frais de scolarité de ses jeunes sœurs, la jeune fille rencontre des difficultés. L’une d’elle concerne sa situation amoureuse. Certains prétendants la fuient lorsqu’ils se rendent compte qu’en plus d’être étudiante, elle est aussi maçonne. « J’ai croisé deux personnes. Après avoir su ce que je faisais, ils ne m’ont plus appelée jusqu’aujourd’hui. Il n’y a pas longtemps, j’ai croisé un monsieur qui m’a demandé le travail que je fais, qui fait que je suis toujours fatiguée et qui prend tout mon temps. Je n’ai pas voulu lui dire, mais il a tellement insisté que j’ai craché le morceau. Il est resté silencieux. Il n’a plus rien dit. Il est parti. Il n’est plus venu. Il ne m’appelé pas non plus. Je ne sais si mon travail leur fait peur. Je ne comprends pas », nous dit Briana en ricanant. Elle n’en fait pas une priorité.

“Sur les chantiers on me néglige souvent avant de me voir à l’oeuvre” Briana

Après une dure journée de voyage et de travail, Briana doit rentrer. Sa condition d’étudiante lui revient en pleine face. Demain mercredi 3 mars 2021, la jeune fille doit composer un devoir. Mais avant, il faut reprendre la route de Ouagadougou. Il est 17h. Aucun véhicule ne quitte Soaw à cette heure. Si nous voulons rentrer, nous devrons rouler. Plus de 100 km à moto. Ce n’est pas du tout confortable mais il faut le faire. Nous quittons le chantier à 17 heures 30. Deux heures de route. En cours de route, le téléphone de Briana sonne. C’est sa petite sœur. Après quelques mots échangés dans sa langue maternelle, elle nous dit que sa sœur est malade et a besoin d’argent pour aller à l’hôpital. Briana n’a pas le choix. Elle doit délier le cordon de la bourse une fois arrivée à Ouagadougou. A 19 heures 30, nous sommes de retour dans la capitale. L’embouteillage impose la concentration. On arrête de causer.

Cette journée a été laborieuse pour la maçonne. Elle espérait avoir 4000 francs CFA comme salaire de la journée. Son transport pour aller au chantier a été pris en charge par notre rédaction. Malheureusement, Briana ne recevra pas de salaire aujourd’hui.  Le temps passé sur la route a progressivement consumé ce qu’elle devrait percevoir.

Un exemple pour les autres étudiantes

Il est 20 heures, lorsque les phares de notre moto se coupent en plein milieu de la cité universitaire de Kossodo. Certains étudiants reviennent du restaurant universitaire. Notre étudiante maçonne ne semble pas inquiète pour manger. « Je vais manger des frites », lance-t-elle. Nous nous quittons avec le sourire dans l’espoir de se revoir le lendemain après son devoir.

Le mercredi 3 mars 2021, nous sommes de retour dans la cité universitaire de Kossodo. Briana est assise sous un arbre avec des amis avec son sourire habituel. Nous échangeons avec certains d’entre eux. Ils parlent tous positivement d’elle.

Loin de la cité de Kossodo, Briana force l’admiration. L’ancienne directrice du CENOU le Dr Rasmata Bakiono/Nabaloum, rencontrée à l’université ne tari pas d’éloges à l’égard de la jeune fille. Pour madame Doulgou, il n’y a pas de doute, Briana aura un bel avenir. Elle espère que la jeune pourra bénéficier d’accompagnement et lance un message aux jeunes étudiantes en générale.

Briana a accepté sa condition de chef de famille bien qu’étant femme et cadette. Dans cette condition, elle ne peut pas se permettre de trier les boulots. S’il faut être manœuvre afin de permettre à ses sœurs de pouvoir aller à l’école et s’il faut aller travailler dans les campagnes, loin de Ouagadougou afin qu’une mère maladive, à plus de deux cent kilomètre de Ouagadougou puissent manger à sa faim, pour Briana, c’est noble. Et elle ne compte pas s’arrêter.

Amadou ZEBA, Faso7

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