En dépit de l’important réseau hydrographique, le transport fluvio-lagunaire au sud Bénin demeure encore à l’étape embryonnaire. Le lac Nokoué constitue la voie de navigation par excellence pour les communes de Sô-Ava et Aguégués qu’il relie aux agglomérations de Cotonou, Porto Novo et Abomey-Calvi. L’heure n’a-t-elle pas sonné pour une restructuration de ce secteur et la valorisation du potentiel touristique des rives, baies et berges ?
Cotonou, marché de Djidjè, au bord du lac Nokoué. 18h, ce vendredi du début du mois de janvier 2021, des dizaines de barques de diverses formes et tailles sont amarrées. D’autres prennent départ, remplie pour la plupart de femmes qui retournent dans leurs villages lacustres de Sô-Ava et Aguégués. Des vendeuses de produits vivriers, halieutiques et divers affluent de partout. Ce monde en fait, constitue une partie des déplacés des zones rasées de la berge du grand marché Dantokpa.
L’embarcadère-débarcadère de Hindé1, a été aménagé lors du projet Participatif d’aménagement du secteur 2 de Ouagadougou et du quartier Ahouansori de Cotonou. Avant de l’atteindre, on trouve le Groupement de protection de l’Etat-major des Forces navales, prêt à intervenir en cas de noyades et autres incidents similaires. Ici aussi, le lac Nokoué s’étend à perte de vue. Le soleil qui décline progressivement, amène Alban, un jeune homme d’une vingtaine d’année, vêtu d’un ensemble coloré en tissu pagne, pantalon retroussé, à s’impatienter. Gesticulant, il fait signe à une jeune dame de hâter le pas, tout en se dirigeant rapidement vers une barque motorisée. A l’intérieur, 15 femmes, 5 hommes et 3 écoliers sont assis côte à côte. Pour traverser le lac Nokoué et se rendre à Akpakpa Agbato, un quartier de Cotonou, il faut payer 100 F CFA (plus ou moins 0,15€). Alors qu’en empruntant un taxi moto, communément appelé ‘’Zem’’, par voie de terre, il faut prévoir au moins 400 F CFA (plus ou moins 0,61€). Tout en sifflotant, Alban manipule avec aisance son long bâton en bois qui lui sert de pagaie. « J’ai appris ce métier en observant mon père à la tâche». Dans 10 minutes, au plus, il abordera l’autre rive.
Au milieu du lac, un adolescent, une quinzaine d’année, file en conduisant sa petite pirogue motorisée, soulevant de l’eau sur son passage. Généralement, les zones de débarcadères ne disposent d’aucune installation et équipement d’accompagnement, ni de quais d’accostage et d’encrage pour les barques. Ils ne sont reliés à aucune infrastructure et ne dispose d’aucun ouvrage d’assainissement, malgré le fait qu’ils accueillent des centaines personnes par jour.
A Todomé, au grand marché Dantokpa, il faut contourner l’étage du Groupement d’intervention subaquatique, Centre de secours, R.T. Adjigbé du Groupement national des sapeurs-pompiers pour aller vers l’embarcadère aujourd’hui désert. L’interdiction de passer devant le bâtiment, matérialisée par des cordes comme lignes de démarcation, amène la foule à le contourner en passant dans un couloir exigu et sombre. A même le sol ou sur de petits tabourets, aux côtés de leurs marchandises détalées, des vendeuses de circonstance rendent encore pénible le passage. La berge bien nettoyée, propre, donne une vue claire et nette. A côté, se trouve la petite maison du fétiche Tokpa Dan Dênon, qui a donné son nom au marché. Seules quelques barques viennent déposer ou reprendre rapidement les passagers majoritairement des femmes, sous l’œil inquisiteur des sapeurs-pompiers et de la Police républicaine.
Les villages lacustres de Sô-Ava
Du récit d’un habitant, c’est depuis 1952 que les barques en destination de Sô-Ava sont utilisées. Ce serait le premier barreur, Al-Hadj Koudédjo qui aurait importé les techniques de construction des barques depuis la Côte d’Ivoire. La grande majorité des personnes qui fréquentent les débarcadères sont originaires des villages lacustres de Sô-Ava. Principalement issues de 3 ethnies (Xlwa, Ouémé et Toffin). Ils vivent du commerce des produits qu’ils pêchent, cultivent et qu’ils viennent écouler sur les berges des marchés de Dantokpa, d’Abomey-Calavi, de Lagos et de Badagri au Nigéria. Chaque village lacustre possède au moins deux barques qui assurent le transport des commerçants vers les marchés. Les prix varient selon la distance parcourue. Les populations n’utilisent pas de gilets de sauvetages.
Le Groupe de solidarité et d’appui au développement endogène (GSADE) Ong, présent à Sô-Ava, possède depuis 2017, une cyber pirogue alimentée par des panneaux solaires, pour accompagner le développement éducatif. « Nous passons dans les collèges. Nous possédons 20 ordinateurs portatifs et les élèves viennent dans notre cyber barque, pendant 2 h et nous les initions aux cours d’informatiques. Nous le faisons 2 fois par semaine. Nous avons une connexion internet via le réseau 3G », déclare son Président, André O Todjè, ex-maire de Sô-Ava.
Justin Vivenou, transporteur, résidant autochtone, déclare conduire sa barque grâce à un moteur hors bords, acheté au Nigéria. Le coût moyen du moteur oscille autour de 1.5 millions F CFA (2 300€). « Lorsque nous avons des pannes, nous cotissons. Notre association nommée Oxodadimè, est constituée de 18 transporteurs. Pour éviter le gaspillage, nous nous organisons et louons une barque disponible. Une barque coûte 2 millions de F CFA (3 050€) et a une durée de vie de 7 ans. Le type que les femmes utilisent coûte 100 000 F CFA (150€) et a une durée moyenne de vie de 5 ans », indique-t-il. Selon lui, une barque transportant les passagers pour Cotonou, peut contenir entre 43 et 70 personnes, pour un coût de transport de 300 F CFA (0,61€) par individu. Les départs ont lieu, le matin, l’après-midi et le soir. Trois types de pirogues sont utilisées: les pirogues ordinaires, les barques motorisées et les grandes barques de transport de marchandises en direction du Nigéria. « Généralement le Père de famille a une pirogue qui lui permet d’aller pêcher. La mère en a une aussi pour vendre ses produits et les enfants qui doivent se déplacer, eux-aussi ont une pirogue. La difficulté souvent d’avoir des barques individuelles fait que les femmes se regroupent aussi en associations et coopératives. Elles se rendent au marché directement quand elles quittent le lac Nokoué avec leur pirogue. Pour les élèves, il existe des pirogues de ramassage scolaires. Les enseignements habitent à 90% en ville et sont obligés eux aussi d’avoir des barques pour se déplacer », indique André O. Todjé.
Le transport touristique vers Ganvié
A l’embarcadère d’Abomey-Calavi, Kiki, guide originaire de Ganvié explique qu’il faut 1h 30 mn de visite pour un coût par personne de 5050 F CFA (7,7€) avec une pirogue motorisée et 4050 F CFA (6€) avec une à rame. La direction du tourisme perçoit des taxes, de même que la mairie de Sô-Ava et la cité lacustre de Ganvié. «50 F CFA vont à l’entretien de la jetée qui date de 2010. Nous voulons interpeller les autorités afin qu’elles reprennent la jetée en main. Tous les bois utilisés sont abîmés. Que l’Etat la reconstruise en matériel dur », poursuit Kiki. « Nous avons souvent des conflits avec les transporteurs locaux. Nous préférons qu’ils aient leur embarcadère à part, car certains locaux pensent que le prix fixé est trop élevé pour visiter Ganvié », affirme-t-il, tout en contant tristement ses difficultés à joindre les deux bouts, du fait de la rareté des tourismes due à la Covid-19.
Pour quels préalables ?
Le Directeur général de l’Agence béninoise pour l’environnement (ABE), François-Corneille Kédowidé, pose des préalables à la navigation fluvial-lagunaire. Il faut savoir d’abord si les cours d’eau sont navigables. Il y a tellement de déchets qu’il faut enlever. Il faut que les pirogues qui naviguent ne déversent pas les carburants dans l’eau, tout ça participe à la destruction des espèces halieutiques ce qui cause des maladies sur les populations qui consomment ces espèces. « Ce n’est que quand tout cela sera fait, qu’il y aura possibilité de naviguer aisément. Les sociétés qui doivent s’installer doivent faire l’étude d’impact environnemental pour savoir, comment éviter de causer des nuisances aux cours d’eaux », révèle encore Dg de l’ABE.
Le plan stratégique du ministère du Transport, a prévu un plan du développement du transport fluvial-lagunaire. Il s’agit de mieux planifier les zones dans lesquelles le transport est toléré et celles où on peut laisser les installations des zones de pêche, notamment les acadjas (parcs traditionnels mis en place avec des branches d’arbres et d’arbustes) qui encombrent les communautés pour mieux dégager les voies de transport et permettre qu’on ait la possibilité de circuler entre Porto Novo, Calavi et la commune de Cotonou.
L’essor de la « croissance bleue »
Kennely Serge, gestionnaire des ressources naturelles à la Direction de la pêche, renseigne que la « croissance bleue » est basée sur la gestion durable des ressources. « Il faut que tout ce qui est produit respecte les principes de la nature, le rythme de la nature tout en permettant à ce que les besoins humains soient comblés. Tous les instants les produits qui sortent rentrent encore dans le processus de production. Et en même temps permettent l’équilibre des milieux », indique-t-il. Le gouvernement a un projet de transport fluvio-lagunaire dans le cadre du Programme d’action du gouvernement (PAG). « Le secteur va être réorganisé avec des délimitations des voies de navigation et la mise en place des barques motorisées », déclare vivement Victor Fabrice Ahomlanto, Chef division post capture à la Direction de la pêche.
La réorganisation qui sera faite, se fera avec le concours des Ministères du Tourisme et de la culture, des Transports et des infrastructures, du Cadre de vie et de l’Agriculture, l’élevage et de la pêche. Certes les autres embarcations devront répondre à des normes bien précises. La Direction de la marine marchande se chargera de ce contrôle. « La Direction de pêche a un rôle régalien, les pêcheurs ne doivent pas encombrer le plan d’eau au point d’empêcher le passage de la circulation des barques. A cet effet, un plan d’aménagement sera fait pour répartir les zones qui devraient normalement abriter des engins.», précise Fabrice Ahomlanto.
Mais, du côté de la berge de Hindé, un vieil homme âgé debout, sur l’embouchure. « Je dois urgemment me rendre à Sô-Ava, mais ça fait une vingtaine de minute que j’attends une
barque », s’exprime-t-il en langue locale fon.
La jacinthe d’eau, élément perturbateur de la navigation
La jacinthe d’eau est un véritable obstacle pour la navigation fluvio-lagunaire. Elle endommage les moteurs des embarcations, empêtrent sérieusement sur l’activité de pêche. Sur le pont de Porto Novo, au mois d’octobre, novembre et décembre, elles ferment entièrement le pont et rendent difficiles, voire impossible la navigation.
Sur le lac Ahémé, ce sont les résidus de jacinthe d’eau qui arrivent du fleuve Mono, mais lorsqu’on dépasse l’embouchure, elles commencent à mourir du fait de la salinité de l’eau. Les plantes ne résistent pas dans les eaux saunâtes. Plusieurs initiatives et projets ont été mis place. C’est le cas du projet ouest africain de gestion intégrée des plantes aquatiques et proliférantes. A cet effet, des pêcheurs avaient été impliqués à la base pour ramasser manuellement la jacinthe d’eau. Actuellement des activités de transformation sont mises en place afin de faire d’elles des objets d’art. La commune de Sô-Ava, expérimente actuellement ce projet à partir duquel : paniers, sacs à mains, et autres accessoires sont confectionnés. De même, la jacinthe d’eau est aussi utilisée aussi pour le compostage dans le jardinage.
Marie-Louise Félicité BIDIAS, Enquête réalisée avec le soutien du Réseau des Journalistes pour une Pêche Responsable en Afrique (Rejopra)
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