Mme Chantal de SOUZA IDOHOU acquiert un bien immobilier dépendant du patrimoine de l’Etat sans l’autorisation requise de la Cour constitutionnelle
(Lire la DECISION DCC 20-457 du 14 Mai 2020)
La Cour constitutionnelle,
Saisie d’une requête en date à Cotonou du 19 février 2020 enregistrée à son secrétariat le 20 février 2020 sous le numéro 0525/269/REC-20, par laquelle monsieur Victorien KOUGBLENOU, en sa qualité de directeur général de l’Agence nationale du Domaine et du Foncier, forme un recours en inconstitutionnalité de ventes immobilières au profit de madame Chantal de SOUZA épouse IDOHOU ;
VU la Constitution ;
VU la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée le 31 mai 2001 ;
VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï messieurs Sylvain M. NOUWATIN et Joseph DJOGBENOU en leur rapport ;
Après en avoir délibéré,
Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 : « Les décisions et avis de la Cour constitutionnelle sont rendus par cinq conseillers au moins, sauf cas de force majeure dûment constatée au procès-verbal » ; que l’épidémie du coronavirus constitue un cas de force majeure qui habilite la Cour à statuer avec seulement quatre de ses membres ;
Considérant que le requérant expose que le ministère des Finances et de l’Economie a opéré au profit de madame Chantal de SOUZA épouse IDOHOU des ventes de gré à gré portant sur deux (02) terrains sis à Cotonou et d’une superficie d’un (01) hectare chacun ; que les terrains objet de la vente font partie d’un domaine sis en face du ministère des affaires étrangères, précisément entre la Caisse nationale de sécurité sociale et le ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et des Pêches, qui est propriété de l’Etat béninois et qui est nanti du titre foncier n° 6402, mais dont le ministre de l’Economie et des Finances a ordonné le morcellement, puis procédé à la cession au profit de madame Chantal de SOUZA épouse IDOHOU qui était chargée de mission et responsable aux affaires financières et économiques du président de la République ;
Considérant qu’il précise que dès sa nomination par le décret n° 2003-482 du 1er décembre 2003 dans ses fonctions de chargée de mission, responsable aux affaires financières et économiques du président de la République, madame Chantal de SOUZA épouse IDOHOU a sollicité du ministre des Finances et de l’Economie, le 02 avril 2004, l’octroi d’une parcelle de deux (02) hectares destinée à la construction du siège de l’Association des femmes de l’Union africaine ; qu’en raison de « l’envergure de cet important siège », elle a porté son choix sur le terrain sus visé ; qu’en août 2004, les deux (02) terrains d’un hectare chacun ont été distraits du titre foncier 6402 de Cotonou, vendus, et ont donné lieu à la création des deux titres fonciers distincts numéros 7174 et 7177, non plus au nom de l’Association des femmes de l’Union africaine, mais de L. Chantal de SOUZA épouse IDOHOU et Laure J. de SOUZA respectivement, qui désignent la seule et même personne ;
Considérant que se fondant sur l’article 52 de la Constitution, le requérant soutient que « les fonctions éminemment exécutives de Responsable aux Affaires Financières et Economiques du Président de la République de dame de SOUZA Chantal épouse IDOHOU » s’opposent à ce qu’elle acquiert un bien immobilier dépendant du patrimoine de l’Etat sans l’autorisation requise de la Cour constitutionnelle ; qu’il sollicite en conséquence que les cessions d’immeuble du 11 août 2004 intervenues à son profit soient déclarées contraires à la Constitution et que par suite soient déclarés nuls et non avenus les titres fonciers 7174 et 7177 de Cotonou et tous les actes subséquents ; qu’il produit le décret n° 2006-502 du 07 septembre 2006 ;
Considérant que madame Chantal de SOUZA épouse IDOHOU, a, par mémoire en date du 27 avril 2020, résisté à la requête en articulant que, par une demande en date du 11 avril 2004, elle a sollicité et obtenu auprès de l’Etat pris en la personne du ministre de l’Economie et des finances, l’autorisation d’acquérir une parcelle par vente consentie de gré à gré de deux hectares extraits du titre foncier n°6402 de Cotonou ; qu’il en est résulté un morcellement de ce titre foncier et la création par distraction de deux titres fonciers distincts, respectivement inscrits aux numéros 7174 et 7177 au Livre foncier de Cotonou ;
Qu’elle développe que la parcelle devrait servir à la construction du siège de l’Association des femmes de l’Union africaine ; qu’elle conclut au mal fondé de la requête au motif, sur le fondement de l’article 52 alinéa 1 de la Constitution, que, pour n’avoir jamais été ni présidente de la République ni membre d’un quelconque Gouvernement, l’autorisation édictée par ce texte n’est pas applicable à la Chargée de missions, responsable aux affaires financières et économiques du président de la République qu’elle reconnait avoir été par décret n°2003-482 du 1er décembre 2003 ;
Considérant que par déclaration à la barre à l’audience plénière du 30 avril 2020, elle précise que sa position aux côtés du président de la République, notamment lors des réunions tenues à Addis Abeba en Ethiopie et à Accra au Ghana, a permis à l’Etat de préserver et de défendre ses intérêts, d’une part en obtenant par ses soins le siège de l’association des femmes de l’Union africaine et, d’autre part, en contribuant à assurer aux populations la continuité de la fourniture des produits pétroliers en dépit des attaques extérieures auxquelles l’Etat était exposé ;
Considérant qu’en réponse, l’Agence nationale du domaine et du foncier, soutient par l’organe de son directeur général que, d’une part, l’autorisation préalable de la Cour constitutionnelle requise par l’article 52 de la Constitution s’étend aux fonctions de chargé de missions du président de la République, en ce qu’elles sont assimilables à la qualité de membre du Gouvernement ; que d’autre part, l’intéressée a également méconnu l’article 35 de la Constitution en ce qu’elle ne devrait pas, à titre personnel, saisir le ministre des finances et de l’économie à l’effet d’obtenir en son nom l’affectation de parcelles relevant du domaine privé de l’Etat pour la construction du siège d’une entité affilié à l’Union africaine ; que selon lui, une procédure devrait être ouverte, à l’initiative du ministre en charge du foncier, en vue de l’affectation du domaine pour la construction du siège de cette association d’intérêt public ; qu’enfin, l’intéressée a, en sa qualité de citoyen, commis un détournement de bien public en violation de l’article 37 de la Constitution au motif que dans la demande qu’elle a adressée par lettre en date du 2 avril 2004 au ministre des finances et de l’économie, madame Chantal de SOUZA IDOHOU avait bien indiqué que les parcelles serviraient à la construction du siège de l’association des femmes de l’Union africaine ; que l’objet d’intérêt public visé et la nature de droit public de l’organisation attributaire a eu pour effet la détermination à son profit d’un patrimoine propre et la constitution des titres fonciers au nom de cette personne juridique ; qu’il observe qu’à la suite de l’avis favorable à la demande, les titres fonciers créés en la circonstance n’ont pas été enregistrés au nom de l’association des femmes de l’Union africaine, mais au nom de madame Chantal de SOUZA IDOHOU.
Vu les articles 3 alinéa 3, 35, 37 et 52 alinéa 1de la Constitution ;
I – Sur la violation de l’article 52 alinéa 1 de la Constitution
Considérant que l’article 52, alinéa 1 de la Constitution dispose que « Durant leurs fonctions, le Président de la République et les membres du Gouvernement ne peuvent pas par eux-mêmes ni par intermédiaire, rien acheter ou prendre à bail qui appartienne au domaine de l’Etat, sans autorisation préalable de la Cour constitutionnelle… » ; qu’au sens de cette disposition, la soumission de l’acquisition ou le bail d’un domaine de l’Etat à l’autorisation préalable de la Cour constitutionnelle a pour but de prévenir la prédation et l’appropriation irrégulière du patrimoine immobilier de l’Etat et de le préserver de bradages au profit des gouvernants ; que l’expression « membres du Gouvernement » employée à l’article 52 ne doit donc pas s’entendre uniquement des ministres de la République mais aussi de toute personne qui participe étroitement à l’exercice de la fonction exécutive de l’Etat ; que lorsqu’ en vertu des prérogatives qu’il tient de l’article 54 alinéa 3 de la Constitution, le président de la République nomme, parmi ses collaborateurs, ceux qui, sans avoir la qualité de membres du gouvernement, en ont le rang, ils sont soumis aux sujétions qui y sont attachées par l’article 52 ; que les fonctions de chargée de mission, responsable aux affaires financières et économiques du président de la République confèrent au titulaire le rang de membre du gouvernement et la soumettent à de telles sujétions ; qu’il s’ensuit qu’en l’espèce, l’attribution au profit de madame Chantal de SOUZA épouse IDOHOU, de parcelles de terres relevant du domaine privé de l’Etat, sans l’autorisation visée par cette disposition, alors qu’elle exerçait les fonctions de chargée de mission, responsable aux affaires économiques et financières du président de la République, est contraire à ce texte ;
Considérant qu’en vertu de l’article 3 alinéa 3 de la Constitution : « Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus… » ; qu’il en résulte que le décret n° 2006-502 du 07 septembre 2006 ainsi que tous les actes administratifs de morcellement, de cession et d’attribution du titre foncier n° 6402 au profit de l’intéressée par le Gouvernement sont nuls et non avenus ;
II – Sur la violation de l’article 35 de la Constitution
Considérant que l’article 35 de la Constitution dispose : « Les citoyens chargés d’une fonction publique ou élus à une fonction politique ont le devoir de l’accomplir avec conscience, compétence, probité, dévouement et loyauté dans l’intérêt et le respect du bien commun » ; qu’a manqué aux devoirs prescrits par cette disposition et violé la Constitution le citoyen qui, comme en l’espèce, profite de sa position au sommet de l’Etat pour solliciter et obtenir en son nom, l’affectation de parcelle relevant du domaine privé de l’Etat, sous le prétexte que ce domaine devrait servir à la construction du siège d’une association d’intérêt public international ;
Considérant qu’ont également méconnu la disposition visée, le ministre chargé des finances au moment des faits qui a autorisé la transaction sans s’être assuré du respect du préalable imposé par l’article 52 al. 1 de la Constitution, du respect de la procédure d’affectation des biens par l’Etat aux organisations ou associations internationales auxquelles le Bénin, par convention, a accordé de siéger sur son territoire, et qui ne s’est pas non plus assuré de l’effectivité de la destination des biens distraits du patrimoine public ;
III – Sur la violation de l’article 37 de la Constitution
Considérant que l’article 37 de la Constitution dispose : « Les biens publics sont sacrés et inviolables. Tout citoyen béninois doit les respecter scrupuleusement et les protéger. Tout acte de sabotage, de vandalisme, de corruption, de détournement, de dilapidation ou d’enrichissement illicite est réprimé dans les conditions prévues par la loi » ;
Considérant que quand bien même il est constant au dossier que dame Chantal de SOUZA IDOHOU a dans la demande qu’elle a adressée par lettre en date du 2 avril 2004 au ministre des finances et de l’économie, bien indiqué que les parcelles serviraient à la construction du siège de l’association des femmes de l’Union africaine et que ces biens ont été finalement attribués au profit de sa personne, le détournement ainsi que les autres actes attentatoires à l’inviolabilité des biens publics ne peuvent être appréciés au sens du texte visé par le juge constitutionnel que lorsqu’ils auront été retenus par les tribunaux relevant du pouvoir judiciaire ; qu’en l’état où il n’est pas versé au dossier de décisions de ces autorités du pouvoir judiciaire par lesquelles celles-ci se sont prononcées sur le détournement dénoncé, cette demande ne peut être déclarée recevable.
EN CONSEQUENCE,
Article 1.- Dit qu’est contraire à la Constitution l’attribution, le 11 août 2004, au profit de madame Chantal de SOUZA épouse IDOHOU, de parcelles de terres relevant du domaine privé de l’Etat et objet des titres fonciers 7174 et 7177 de Cotonou sans l’autorisation de la Cour.
Article 2.- Dit que le décret n° 2006-502 du 07 septembre 2006 ainsi tous les actes administratifs de morcellement, de cession et d’attribution du titre foncier n° 6402 au profit de l’intéressée par le Gouvernement sont nuls et non avenus.
Article 3.- Dit que madame Chantal de SOUZA épouse IDOHOU a violé l’article 35 de la Constitution
Article 4.- Dit que le ministre chargé des finances au moment des faits a méconnu l’article 35 de la Constitution
Article 5.- Dit que la demande de la requérante sur le détournement de biens publics est, en l’état, irrecevable
La présente décision sera notifiée à monsieur Victorien KOUGBLENOU, à madame Chantal de SOUZA épouse IDOHOU, au ministre de l’Economie et des Finances et publiée au Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le quatorze mai deux mille vingt,
Messieurs Joseph DJOGBENOU Président
André KATARY Membre
Fassassi MOUSTAPHA Membre
Sylvain M. NOUWATIN Membre
Source: Service de Presse de la Cour constitutionnelle
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