Le Journal de NOTRE EPOQUE

Journal béninois d’investigation, d’analyses et de publicité – Récépissé N° 953/MISPCL/DC/DAI/SCC du 27 mars 2007

Imbroglio autour de la situation administrative : Le Commandant Juste Codjo s’explique

Imbroglio autour de la situation administrative du Commandant Juste Codjo, ancien officier béninois, désormais Docteur en sciences politiques et enseignant dans une université aux États-Unis. En effet, ce dernier a démissionné le 17 janvier 2020 mais un décret du 05 mars 2020 prononçant sa déchéance de grade et sa radiation. Le Commandant Juste Codjo, ancien officier béninois, désormais Docteur en sciences politiques et enseignant dans une université aux États-Unis réagit à travers une lettre ouverte.

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Jersey City, le 22 février 2021.

Professeur Juste Codjo

Ancien Officier Supérieur des FAB

Directeur du Programme de Doctorat

Département des Etudes de Sécurité

New Jersey City University (USA)

 

A

Mes frères et sœurs d’armes des Forces Armées Béninoises

Chers camarades,

Vous avez sans doute vu circuler ces derniers jours un article du journal Banouto relatif à une certaine déchéance de mon grade et ma radiation des FAB pour motif d’absence illégale. Depuis la publication dudit article, je n’ai cessé de recevoir des messages et des appels téléphoniques d’officiers généraux, d’officiers supérieurs, d’officiers subalternes, de sous-officiers et de militaires de rang avec qui j’ai eu le privilège de servir notre pays pendant ces dernières décennies. Il m’est aussi revenu que le contenu de l’article de presse donne lieu à des interprétations diverses en votre sein. Je voudrais donc saisir cette opportunité pour rétablir les faits.

Ainsi que vous pouvez le voir à travers le document joint en annexe, j’ai introduit ma démission des FAB le 17 janvier 2020, jour où je fermais 25 ans de service effectif. Les motifs de ma démission y sont clairement indiqués. Les cachets y figurant sont la preuve que la démission a bien été reçue au Groupement du Quartier Général et au secrétariat administratif du Ministère de la Défense Nationale. Avant de mener ces actions, j’ai pris le soin de consulter la loi N° 2005-43 du 26 juin 2006 qui régissait le statut général des personnels militaires des FAB au moment de ma démission. En effet, ladite loi accorde aux officiers de mon rang la possibilité de démissionner s’ils ont accompli 25 ans de service. Cette même loi précise que la démission n’est effective que si elle est acceptée par le Président de la République mais elle n’indique nulle part la conduite à tenir par l’officier démissionnaire en attendant la décision du PR. A ce jour, soit plus d’un an après, je n’ai reçu aucune notification de la décision du PR, favorable ou défavorable. Après plusieurs mois, j’avais conclu que le silence de l’autorité valait acceptation.

C’est donc avec grande surprise que j’ai appris par des camarades la sortie du fameux décret, dont je n’ai d’ailleurs pas reçu copie officielle à ce jour. Je suis encore plus surpris car, avant ma démission, j’avais pris le soin de rencontrer en personne le Ministre de la Défense. Lors de cet entretien, qui a eu lieu suite à une demande d’explication de sa part, je lui ai notifié mon intention et expliqué que je ne souhaitais plus servir parce que j’avais perdu confiance en la hiérarchie militaire quant à la gestion de ma carrière. Après m’avoir écouté, il m’a dit qu’il a compris et m’a même conseillé de déposer une copie de ma démission à son secrétariat après l’avoir introduite à l’armée de terre. Curieusement, c’est lui qui, quelques mois plus tard, signe une communication en conseil des ministres pour radiation au motif d’une absence illégale. Il m’est revenu que c’est suite à des séances de travail au Cabinet Militaire de la Présidence de la République et sur proposition de l’EMAT que le Ministre aurait fait l’option de ne pas tenir compte de ma démission pourtant adressée au PR par voie hiérarchique.

Si tant est que le PR avait rejeté ma démission, les règles administratives n’obligent-elles pas l’autorité à me notifier sa décision de rejet et me sommer de rejoindre les rangs? Par ailleurs, le décret en question a été pris en novembre 2020 et se fonde sur la loi 2020-19 du 03 juillet 2020 qui contient désormais une nouvelle disposition exigeant du démissionnaire qu’il attende à son poste jusqu’à la prise d’une décision par le PR. Et pourtant ma démission est intervenue 6 mois avant la sortie de cette loi. A supposer donc que j’aie été absent entre le 17 janvier 2020 et le 5 mars 2020 (date de ma radiation), sommes-nous désormais dans un pays où un nouveau statut s’applique à une situation antérieure? Les lois sont-elles désormais rétroactives chez nous? Qu’est-ce qui motive la hiérarchie militaire à violer un principe aussi élémentaire en droit pour me déchoir de mon grade, sans d’ailleurs me donner l’opportunité de m’expliquer au préalable?

Selon ce que m’ont confié plusieurs membres du haut commandement militaire, les autorités politiques au plus haut niveau me reprocheraient d’avoir écrit une lettre ouverte au parlement en avril 2017 qui aurait contribué à l’échec du premier projet de révision de la constitution. Il précise que lesdites autorités reconnaissent la pertinence de mes arguments mais n’ont pas apprécié le fait que je ne leur en ai pas parlé en privé. Ces mêmes autorités avaient pourtant reçu copie de mon livre Consencratie et connaissaient donc mes expertises en la matière ; mais elles ont choisi de ne pas m’associer à la rédaction dudit projet. Mieux je leur avais adressé plusieurs demandes d’audience restées sans suite alors que le Président de l’Assemblée Nationale m’avait fait appeler pour m’écouter et solliciter plusieurs copies de mon livre pour les distribuer aux membres de la commission des lois. Une expertise pouvant servir l’intérêt supérieur de la nation devrait-elle être étouffée simplement parce que l’expert en question est un militaire ?

Comme on pouvait si attendre, des pressions avaient émergé pour que je sois puni. Mais face au refus du CEMG (d’alors) d’y céder, il s’est déclenché un acharnement à mon égard, téléguidé depuis le Cabinet Militaire du Président. Une demande de mise en disponibilité que j’avais introduite en personne au GQG en octobre 2018 après mon retour de stage n’a jamais été transmise par l’EMAT à l’autorité destinataire. Mon salaire suspendu en septembre 2018 parce que je n’avais pu rentrer de stage le 1er septembre comme prévu n’a pas été rétabli malgré mon retour effectif le 30 septembre, retour pourtant constaté par les autorités et services de l’EMAT, de l’EMG, de la DOPA, et de la DSIA. Malgré la sortie d’une note de service du CEMG constatant mon retour de stage et me mettant à la disposition de l’EMAT, personne ne s’était soucié de m’affecter à un poste. Bien évidemment, mon avancement au grade supérieur avait purement et simplement été mis de côté.

Parallèlement à ces abus d’autorité, il avait été enclenché en décembre 2018, seulement deux semaines après la nomination d’un nouveau CEMG, une procédure de radiation à mon égard pour absence illégale entre le 1er septembre et le 12 décembre 2018. Souvenez-vous, une note de service du CEMG sortant avait bel et bien constaté mon retour au Bénin le 30 septembre. Après plus d’un an de procédures, cette tentative avait finalement été abandonnée en raison des observations émises par la cellule juridique de la Présidence de la République qui y avait trouvé plusieurs violations de mes droits. C’est donc dans ces conditions que j’ai reçu une convocation du Ministre de la Défense le 09 janvier 2020, soit après 15 mois de silence, sans solde, sans poste d’affectation et sans suite à ma demande de mise en disponibilité. La suite vous la connaissez désormais : mon entretien avec le Ministre le 17 janvier, précédé par un autre entretien avec son DC et son DAC la veille, et suivi de ma démission.

Chers frères et sœurs d’armes, je viens rétablir ces faits parce que j’ai une dignité à préserver. J’ai servi 25 ans sans la moindre punition. Vous avec qui j’ai servi tout au long de ma carrière connaissez mon intégrité ainsi que ma rigueur au travail et vis-à-vis du règlement militaire. Du 1er Bataillon de Commandos Parachutistes où j’ai servi le plus longtemps, en passant par l’Ecole Nationale des Officiers, l’Ecole Nationale des Sous-Officiers, l’Etat-Major de l’Armée de Terre, le 1er Bataillon du Train, et le Groupement National de Sapeurs-Pompiers, je crois avoir démontré ma passion et mon dévouement au métier des armes. Vous qui m’avez vu affronter les balles des rebelles au Libéria en 2003-2004 pour assurer le ravitaillement quotidien à nos troupes, vous savez que j’ai toujours été prêt à me sacrifier au service de mon pays. Je ne mérite donc pas des leçons de patriotisme de la part de ces personnes qui ont passé la moitié de leur carrière d’officier dans les entrailles du pouvoir politique. Vous qui me connaissez savez que je ne suis pas rentré dans l’armée par manque d’option. Quand j’avais, en janvier 1995, fait le choix de servir la patrie, je venais de sortir major du Bénin au Baccalauréat toutes séries littéraires confondues et venais d’abandonner une bourse d’excellence de l’Ecole Nationale d’Administration. Je ne permettrai donc à personne, qu’il soit détenteur d’un pouvoir politique ou administratif, élu ou nommé, de porter atteinte à ma dignité et à mon honneur.

Aux autorités militaires qui soutiennent ou exploitent ces acharnements et calomnies à mon égard, je voudrais dire ceci : il y a une vie après le pouvoir. Veuillez garder à l’esprit que la cause que nous servons doit être toujours plus grande que nos personnes si nous voulons contribuer au bien-être commun. Je suis peiné de voir des gens, à qui on a confié la responsabilité de conduire une institution aussi sacrée que l’armée, se donner tant de mal pour l’avilir juste pour plaire à des hommes politiques. Tenez, des chefs militaires sont intervenus il y a quelques semaines pour qu’on retire mon nom de la liste des enseignants au profit d’un programme de Master coorganisé par l’ENSA et l’Université de Parakou. La raison avancée par eux est que « le politique pourrait mal prendre mon implication dans ce programme ». Depuis quand sommes-nous tombés si bas ? D’ailleurs, cette matière pour laquelle j’ai été sollicité par les responsables de ce programme de Master, je l’ai enseignée par le passé au American University, une université figurant parmi les meilleures universités au monde dans ce domaine. Quel est ce « politique » à qui le peuple a donné pouvoir pour décider de qui peut enseigner quoi au Bénin ? Est-il désormais plus important de plaire à un homme politique que de permettre à des béninois d’avoir une instruction de qualité, surtout quand ils ont payé pour y prendre part ? N’y a-t-il plus des chefs militaires capables de dire au « politique » qu’il y a des limites à ne pas franchir ?

En cette période très sensible que traverse notre pays actuellement, je voudrais finir cette lettre par quelques mots à l’endroit de ces milliers de soldats et sous-officiers à qui j’ai servi d’exemple tout au long de ma carrière, à ces centaines de jeunes officiers que j’ai formés à l’ENO et qui pourraient être confus en lisant ou en écoutant des rumeurs et ragots sur ma modeste personne, et à ces officiers supérieurs qui ont, pendant plusieurs décennies, placé leur confiance en moi. Chers camarades, je tiens à vous rassurer que je suis resté le même que vous avez connu par le passé. Je continue de garder ma tête sur les épaules. J’ai fait le choix de ne pas être partisan, ni d’un camp ni de l’autre, mais plutôt d’être une référence en matière scientifique, et d’inspirer la raison et la sagesse aux yeux de nos compatriotes. Croyez-moi, ces dernières années j’ai eu l’occasion de côtoyer les élites de ce pays. J’ai tôt compris que mon combat, celui d’aider à mettre en place un système de gouvernance consensuelle au Bénin et ailleurs, ne peut se faire en adoptant les mêmes attitudes partisanes et égoïstes qui dominent ces milieux. Je me suis donc imposé une règle de conduite inspirée par le principe de neutralité auquel j’étais soumis pendant mes deux décennies de service dans l’armée : je serai certes actif dans les débats relatifs à la gestion de notre pays, mais je resterai aussi impartial que possible. Je me battrai toujours pour rendre fière cette institution militaire qui a fait de moi ce que je suis devenu et je vous promets de continuer à refléter les valeurs que vous et moi avons défendues ensemble par le passé.

Bonne suite de carrière à vous et vive la république !!!

Fraternellement,

Chef d’Escadrons (A/R) Juste Codjo

 

+ PDF lettre de demission, decret, lettre ouverte

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