Secteur des médias et de la Poste au Bénin: l’audace de réformer
Par Marius janvier DOSSOU-YOVO
Administrateur Civil,
Docteur en droit privé, Enseignant-chercheur
Expert en droit des médias et des politiques numériques
Le mardi 25 mai 2021, le Chef de l’Etat, répondant à une prescription de la Constitution, a formé son gouvernement, une équipe de 23 membres contre 24 pour le dernier gouvernement du précédent quinquennat. Fait majeur, la suppression du Ministère de la communication qui a survécu à tous les remaniements avec la constance que si la dénomination pouvait changer, le volet « communication » restait sans changement. Face à la surprise et l’incompréhension que cela a pu susciter, le Chef de l’Etat a fait une intervention sur une télévision de la place pour expliquer les tenants et aboutissants de cette réforme qui s’annonce comme une réforme majeure pour le quinquennat 2021-2026. Cette sortie a tout de suite eu pour résultat de faire baisser le thermomètre et de préparer les esprits aux réformes à venir dans les secteurs des médias et de la poste.
La poste et surtout les médias qui sont concernés par la présente réflexion se trouvent aux confluents des exigences de liberté démocratique et de développement économique. C’est pourquoi après trente années de renouveau démocratique, il faut bien se résoudre à reconnaître que si les fondamentaux demeurent, l’impact du numérique et l’affordance du facteur économique sont prégnants d’où la nécessité de prendre des mesures dans le cadre de réformes courageuses et hardies.
Des réformes souhaitées mais jamais engagées
Nous n’épiloguerons pas sur la définition des notions de communication, de médias et de presse qui ne nous paraissent pas pertinentes pour la présente réflexion. Il en est de même de l’opportunité d’avoir ou non un ministère de la communication. D’ailleurs cette pratique qui est d’obédience Afrique francophone (essence romano-germanique) conserve sa particularité comme sur bien de points avec ceux anglophones (essence common law) généralement moins fermés et plus réceptifs aux mutations. D’ailleurs pour ces matières, la loi fondamentale dispose en son article 54 que « Le président de la République dispose de l’Administration ». Donc, la question de l’opportunité de la réforme devient caduque.
Mais plus encore, à maintes occasions, les acteurs des médias ont souhaité que leur secteur d’activité soit réinventé. Nous en voulons pour preuve les recommandations contenues dans le rapport des états généraux de la presse béninoise de 2014 (Voir Actes des états généraux de la presse béninoise, Cotonou, les 19, 20 et 21 février 2014, p.23). A titre d’exemple, au gouvernement, il était demandé de :
créer un environnement favorable à la création de véritables entreprises de presse ;
apporter un appui aux médias audiovisuel par la création d’un fonds d’appui au « tout numérique » ;
mettre en place la centrale d’achat des intrants de presse ;
renforcer les capacités de l’ENSTIC (instauration d’un studio école), etc.
Les réformes une fois achevée devraient permettre de clarifier les missions de chaque acteur et de mettre en lumière les points concernés par les réformes.
Clarification des missions
Ce qui a été fait jusque-là, c’est de bâtir un échafaudage institutionnel qui ne distingue pas avec précision les rôles de chaque acteur. Sur de nombreux points, le ministère de la communication semble être une réplique de la HAAC. Pour preuve, l’article 3 du décret n°2019-546 du 11 décembre 2019 portant Attributions, Organisation et Fonctionnement du Ministère de la Communication et de la Poste (dernier AOF) stipule que le ministère de la communication a pour mission la conception, le suivi et l’évaluation de la politique générale de l’Etat en matière de poste et de promotion de l’action gouvernementale. Deux axes qu’on retrouve dans les attributions et compétences dérivées de la HAAC situées aux articles 5 et 6 de sa Loi organique. Ainsi, au même titre que la HAAC, le ministère de la communication assure la promotion de la liberté de la presse et du droit à l’information, propose des textes législatifs et règlementaires relatifs à la promotion et au développement des médias, veille au développement de la recherche, de l’innovation dans le secteur des médias, contribue à la gestion du spectre des fréquences radioélectrique alloué à la radiodiffusion sonore, à la télévision et aux distributeurs de programmes, etc. Ce chevauchement des rôles n’a pas manqué de créer quelques bisbilles interinstitutionnelles avec le risque que cela est préjudiciable à l’efficacité et à la visibilité des actions. C’est pourquoi, il est judicieux d’y renoncer.
Les points de la réforme
Le secteur postal a été fortement impacté par les technologies numériques au point de l’avoir métamorphosé. C’est aujourd’hui un secteur hybride à forte variante numérique de sorte que sa catégorisation nécessite qu’on prenne en compte des éléments nouveaux. L’opérateur historique en pleine mue continue d’intégrer de nouveaux services et doit faire face à une concurrence très agressive qui nécessite qu’elle se recentre sur certaines activités clés (libéralisme économique obligeant). En effet, ses missions classiques qui consistent à acheminer le courrier « bout en bout » c’est-à-dire la collecte du courrier jusqu’à sa distribution sont devenues très marginales. Il s’ensuit que face à la concurrence, l’hybridation n’est pas la solution souhaitée. Elle présente l’inconvénient du ni…ni avec des résultats de portée mitigée.
Pour pallier le brouillage au niveau des activités qui sont pilotées par ce secteur, il convient de les hiérarchiser en fonction de leurs capacités à générer des revenus. Sous ce rapport, les activités bancaires remportent la palme. Ce qui permet de justifier son arrimage au Ministère de l’Economie et des Finances en raison de la maxime accessorium sequitur principale (l’accessoire suit le principal). En d’autres termes, le principal prime sur l’accessoire de ses attributs. En conséquence, le service postal va relever du ministère précité.
Le deuxième secteur touché par la réforme est celui des médias. Le débat sur les rapports possiblement incestueux entre communication, propagande et des structures chargées de leur gestion a été vidé. La HAAC sera replacée dans ses prérogatives avec une saveur d’exclusivité. Elle est une institution constitutionnelle qui a fait son chemin et a capitalisé de l’expérience. C’est une plus-value lorsqu’on décide de faire une réforme de cette ampleur surtout que les larges prérogatives dont elle dispose n’ont pas toutes été implémentées (c’est le cas de la publicité et des médias en ligne). De ce fait, elle dispose de la légitimité nécessaire pour décupler les « compétences dérivées ». La question du financement a été abordée. C’est d’ailleurs le nœud gordien. La façon dont elle nous a été présentée prouve à suffisance que ce n’est pas une réforme faite sur un coup de tête encore moins au pifomètre. Une place de choix sera consacrée à l’expertise véritable, à l’ingénierie et à la prospective.
Dans l’absolu, la réforme ne consistera pas juste en un changement de tutelle mais plutôt à œuvrer à la mise en place de service bien organisés et accessibles à tous les béninois où qu’ils se trouvent.
Il est de coutume qu’une réforme vient déstabiliser « l’establishment », opérer des changements de divers ordres aussi bien au niveau de la nomenclature institutionnelle, des acteurs que des textes. Nous ferons quelques suggestions sur les trois points énoncés.
Quelques pistes à scruter
Cette partie sera consacrée aux suggestions avec un focus sur l’approche institutionnelle de la réforme, l’approche normative et la prise en compte des acteurs.
L’approche institutionnelle de la réforme
Plusieurs options existent. Celles que nous proposons, après les avoir toutes exposées, allie efficacité et résilience en termes de mise en place d’une techno structure.
soit on crée de nouvelles structures pour prendre en charge ou accompagner les réformes dans leur intégralité.
soit on rebat les cartes pour créer une entité totalement nouvelle.
soit on donne pouvoir aux entités existantes de prendre en charge les prérogatives dévolues aux structures dissoutes.
Cette dernière proposition nous paraît la meilleure pour la régulation des médias de masse. Dans tous les cas, il faut veiller à éviter une régulation asymétrique en mettant en place un « worksharing » volontariste et efficace. Dans tous les cas, c’est un régulateur nouvelle génération qui va voir le jour. Il saura concilier les exigences d’une régulation multisectorielle et la nécessité d’une plus grande ouverture vers la corégulation. Cet attelage institutionnel pourrait être complété par une agence gouvernementale qui ne s’implique pas dans la régulation mais qui porte un regard bienveillant sur l’écosystème. S’il est l’œil du gouvernement sur les questions médias, il sera à équidistance entre les acteurs et l’instance de régulation. Dans la configuration actuelle, le porte-parole du Gouvernement joue ce rôle qui pourrait être davantage valorisé par la mise en place de directions ou services.
Il restera alors la question des structures sous tutelles telles que l’ORTB, l’ONIP et l’ABP.
Les réformes envisagées impacteront naturellement leur forme juridique dans la mesure où la tutelle n’existe plus. On pourrait en faire des structures autonomes, alors elles ne bénéficieront plus des subventions de l’Etat ; ce qui pourrait entraîner leur déclin dans un contexte où la TNT prône fortement la concurrence. L’audiovisuel en raison de sa nature de service public a besoin des subventions de l’Etat. Ainsi, les programmes qu’ils proposent peuvent être facilement distribués avec en prime l’application du système du must carry indispensable à la diffusion de la culture béninoise.
L’ONIP et l’ABP ont besoin d’être repensés à cause du rôle qu’ils jouent. Plus que la recherche de leur arrimage, c’est leur survie qui est en jeu si la meilleure formule n’était pas trouvée. Faut-il diversifier leurs activités ? Faut-il envisager un changement de forme juridique ?
Ces questions méritent d’être étudiées de façon minutieuse.
L’approche normative de la réforme
C’est la deuxième fois que le secteur des médias va connaître des réformes en profondeur après la démonopolisation des ondes en 1997. Les textes actuels pourraient montrer leurs limites pour servir de levier à un véritable développement des secteurs considérés. Le benchmarking s’avère nécessaire pour opérer des réformes efficaces dont les effets durent dans le temps. Il va sans dire que tous les textes qui régissent les différents secteurs doivent être amendés. En ce qui concerne les médias, il y a le code de l’information, loi organique relative à la HAAC, code du numérique et le règlement intérieur de la HAAC. Nous reviendront sur les points qui doivent être touchés dans une autre publication.
Cela dit, la Constitution devrait être épargnée d’un quelconque amendement en raison de la complexité de sa modification mais aussi parce qu’elle donne la possibilité de faire jouer les compétences dérivées.
Les acteurs
C’est de notre point de vue une aubaine pour les associations professionnelles qui doivent saisir la balle au bond pour avoir souhaité ces réformes. Ils sont les plus à même d’identifier les goulots d’étranglement au niveau de leur profession et pourront accompagner le gouvernement dans ses réformes ; ils seront donc des acteurs et non des contemplateurs.
Aussi un regard doit-il être porté sur le personnel du ministère de la communication qui pourrait être absorbé par les structures qui ont pris en charge ses attributions. Dans cette matière à forte effluve sociale c’est « jura vigilantibus, tarde venientibus ossa » (Aux vigilants les droits, aux retardataires les os).
Faut-il conclure ?
Il y a lieu de marquer notre satisfaction par rapport à la volonté affichée par le premier magistrat de faire mieux que ce qui a toujours été. Le Bénin ne saurait rester plus longtemps en marge des opportunités que nous offrent les technologies numériques. L’implication de tous est souhaitée pour qu’une révolution s’opère dans la mesure où la pertinence de ces réformes jadis souhaité a rencontré la disponibilité du Chef de l’Etat qui en a une vision plus que claire. Il est vrai aussi que des intérêts seront touchés, des tâtonnements seront observés. Mais Anatole France nous avertissait déjà de ces risques, « Tous les changements, même les plus souhaités, ont leur mélancolie ».
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