Le Journal de NOTRE EPOQUE

Journal béninois d’investigation, d’analyses et de publicité – Récépissé N° 953/MISPCL/DC/DAI/SCC du 27 mars 2007

Entretien/Fabrice Salembier, professeur d’histoire «Prédire une sécession au Bénin est hâtif »

Plusieurs pays du monde, notamment ceux africains ont connu des guerres de sécession occasionnées par des procédés fluctuants. Pour le professeur d’histoire Fabrice Salembier, de nationalité belge , témoin oculaire du génocide rwandais de 1994, l’une des causes les plus profondes des mouvements sécessionnistes en Afrique trouve ses racines au travers de son passé colonial. Toutefois, sur le risque de l’exposition du Bénin au conflit type sécessionniste, il émet réserves et perspectives.

Notre Époque : Pour certains, le sécessionnisme s’entend d’une revendication d’indépendance territoriale de la part d’un groupe politique ou social au sein d’un État souverain. Alors, selon vous, que peut-on comprendre par cette terminologie ?

Fabrice Salembier: Pour être plus précis, je dirai que le sécessionnisme prône la séparation d’une région ou d’un groupe politique d’un État souverain existant, afin de former un nouvel État indépendant. Cela peut être motivé par des différences culturelles, ethniques, linguistiques, religieuses, économiques ou politiques entre la région sécessionniste et le reste de l’État. Cette définition est d’ailleurs très proche de l’indépendance souhaitée, parfois exigée par différents États africains faisant suite à la colonisation et pourrait même être amalgamée à l’envie de ces États de se «libérer d’un certain joug occidental», ce que la France vit actuellement avec d’ex-colonies.

Comment des considérations économiques, sociales, politiques ou culturelles peuvent conduire à la naissance du sécessionnisme ?

Je résume cette situation en plusieurs causes. Premièrement, l’intégrité territoriale, qui résulte du fait que la plupart des États africains ont hérité de frontières tracées à l’époque coloniale, souvent sans tenir compte des réalités ethniques, culturelles et religieuses. Le sécessionnisme remet donc en question l’intégrité territoriale de ces États et peut entraîner des con?its violents, car le gouvernement central cherche généralement à maintenir l’unité nationale. Lord Salibury, 1er ministre britannique, lors du découpage de l’Afrique à la conférence de Berlin en 1885 disait ceci : “nous avons entrepris de tracer sur des cartes des régions où l’homme blanc n’avait jamais mis les pieds. Nous nous sommes distribués des montagnes, des rivières et des lacs, à peine gênés par cette petite di?culté que nous ne savions jamais exactement où se trouvaient ces montagnes, ces rivières ou ces lacs. “Depuis, ces frontières sont sans cesse sources de con?its… Deuxièmement, l’identité ethnique et culturelle car les mouvements sécessionnistes sont souvent motivés par des revendications identitaires. Les groupes ethniques ou culturels marginalisés peuvent chercher à se séparer pour protéger leur identité et leurs droits. Cela peut engendrer des tensions intercommunautaires et des con?its, car d’autres groupes se sentent menacés par cette séparation. Troisièmement, les Ressources naturelles. Dans certains cas, les régions sécessionnistes peuvent être riches en ressources naturelles telles que le pétrole, le gaz, les minéraux ou les terres fertiles. Le contrôle de ces ressources peut être un enjeu majeur, car le gouvernement central peut chercher à maintenir son contrôle sur ces régions pour des raisons économiques, c’est le cas en République démocratique du Congo. Quatrièmement, le développement socio-économique. Les régions sécessionnistes se sentent souvent négligées ou marginalisées par le gouvernement central en termes de développement socio-économique. Les mouvements sécessionnistes naissent alors de ces inégalités et de l’impression que la région serait mieux lotie en tant qu’entité indépendante, capable de gérer ses propres ressources et de promouvoir son développement. Le Haut-Katanga, en République Démocratique du Congo en est une preuve même si l’essai ne fut pas concluant en 1960. Il faut tout de même préciser que chaque cas de sécessionnisme est unique, et pas seulement en Afrique. Unique non seulement avec ses propres dynamiques politiques, mais aussi historiques et sociales.

Pensez-vous que la situation économique et sociale d’une région peut être beaucoup plus vite à l’origine de la création d’un sécessionnisme autant que toute autre raison ?

Absolument oui, des mouvements de contestation pullulent dans di?érents pays africains à cause d’une centralisation des biens et de l’impôt par le pouvoir qui rend alors certaines régions exsangues (à bout de forces) alors qu’elles auraient davantage de moyens en étant «indépendantes».

Dans quelle mesure l’implication des acteurs extérieurs, telles les organisations internationales, les puissances régionales ou mondiales, peut-elle in?uencer le déroulement d’un con?it sécessionniste ?

Par intérêt, tout simplement ! C’est encore l’Occident qui place ses pions dans certains pays d’Afrique, n’en déplaise à certains. Ong, multinationales, anciens colonisateurs ont encore trop de pouvoirs sur le continent noir. C’est d’autant plus vrai lorsque vous vivez sur place, vous vous en rendez alors compte. Il s’agit ici de géopolitique, de stratégies d’intérêts ?nanciers non africains. Et là, je ne m’arrête pas au sécessionnisme uniquement : tenir un État par la gorge fait que celui-ci se développera uniquement si, vous, bailleur de fonds, vous le souhaitez ! Prenons les États-Unis dont la politique étrangère privilégie en apparence l’intégrité des frontières internationales alors que Washington se préoccupe davantage de garantir une stabilité pour assurer sa puissance.

Depuis combien de temps déjà parle-t-on du fait que l’Afrique est le futur grenier du monde (alors que la malnutrition et la famine règnent), qu’elle est l’avenir, etc. ?

Et dire que ce sont les gouvernements africains les seuls responsables est un peu facile.

Selon vous, quels rôles les pouvoirs locaux et régionaux peuvent-ils jouer dans la résolution d’un con?it sécessionniste ?

Ils sont au cœur de la chose et les plus à même de résoudre le problème étant ceux qui connaissent le terrain et les aspirations de la population. Si les préoccupations locales sont leur cheval de bataille, ils devraient alors pouvoir établir des contacts, des relations de con?ance entre les protagonistes en mobilisant les ressources locales. Ensemble, on est plus fort, on va plus loin même si seul, on va plus vite.

Comment les forces de défense et de sécurité peuvent-elles prévenir les mouvements sécessionnistes violents qui menacent la sécurité et la stabilité au sein d’un État ?

La prévention des mouvements sécessionnistes violents nécessite que l’on combine des mesures sécuritaires, politiques, économiques et sociales tout en respectant les droits de l’homme et l’état de droit dans toutes les actions entreprises pour prévenir ces mouvements. Plusieurs points peuvent être soulevés a?n de contribuer à amoindrir les risques, à savoir mettre en place des services de renseignements e?caces, le renforcement des contrôles aux frontières a?n d’éviter les incursions d’hommes et d’armes, le dialogue (que je prône avant toute chose) avec les communautés qui se sentent ?ouées, ignorées, mais surtout l’application de la loi pour tout le monde sans exception.

En aval, lorsque le pire est intervenu et qu’une région malgré les moyens de prévention décide de faire sécession comme au Nigéria avec la guerre du Biafra en fin des années 60, et dans la région du Tigré en Éthiopie courant Novembre 2020 à Novembre 2022, quelles dispositions pratiques ou actions concrètes faut-il mener ?

La réponse à un mouvement sécessionniste dépend de la situation spéci?que et de la volonté politique des parties concernées. Dans certains cas, des négociations paci?ques et des solutions politiques peuvent être trouvées pour résoudre les di?érends. Dans d’autres cas, cela peut entraîner des con?its violents et des conséquences à long terme pour toutes les parties impliquées. L’on ne le souhaite pas, mais personne n’est épargné et elle va jusqu’à avoir des répercussions sur la stabilité régionale car les conflits peuvent se propager à travers les frontières, provoquer des tensions entre États voisins et déstabiliser l’ensemble de la région. Sans oublier les pertes en vies humaines, les blessés, les problèmes de réfugiés et les déplacements de population.

Au regard des nombreuses tractations et des débats autour de l’interdiction de l’exportation de certains produits agricoles au Bénin ; ne peut-on pas craindre la naissance d’un mouvement sécessionniste vu le sentiment d’exclusion qui fait surface entre le développement du nord et du sud du pays ? Rien n’est impossible, mais est-ce la solution souhaitée ?

Prédire une sécession est hâtif, je pense qu’un véritable dialogue inclusif, une coopération entre le nord et le sud doit primer sur tout autre processus. Comme dit plus haut, les pouvoirs locaux et régionaux ont un rôle à jouer autant que l’État. La Cedeao peut aussi jouer une partition dans cette unité à retrouver au sein du pays.

Propos recueillis par Moucharaf SOUMANOU

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