Le Journal de NOTRE EPOQUE

Journal béninois d’investigation, d’analyses et de publicité – Récépissé N° 953/MISPCL/DC/DAI/SCC du 27 mars 2007

Au sujet de la décision DCC 20-434  : Jérémie Kpataheri répond à Steve Kpoton

Réponse à Djidénou steve KPOTON relative à son commentaire de la décision DCC 20-434 du 30 avril 2020 de la Cour constitutionnelle du Bénin.

« Toute connaissance humaine est relative ». Plus qu’un secret de polichinelle, cette assertion relève d’une évidence. Nos propos suivants, loin d’être un Evangile, sont une modeste homélie qui nous sert de réponse au commentaire de la décision DCC20-434 du 30 avril 2020 de la Cour constitutionnelle du Bénin réalisé par Djidénou Steve KPOTON ci-après dénommé « commentateur ». C’est le lieu de le féliciter vivement pour avoir accompli un tel travail en tant que juriste internationaliste qui nous donne l’occasion d’échanger avec lui de façon amicale. Hic et nunc, une équivoque mérite d’être levée : nous ne sommes pas internationaliste comme le commentateur mais, nous lui demandons humblement de nous permettre, avec une naïveté d’un huron au palais du droit international, de lui dire que son point de vue ne nous convainc pas à maints égards. En effet, de quoi s’agit-il ? Le 30 avril 2020, par sa décision susvisée, la Cour constitutionnelle du Bénin a, saisie par un citoyen d’un recours en « annulation de toutes les décisions rendues par la CJC à l’égard du Bénin sur le fondement de l’article 9 du Protocole additionnel A/SP.1/01/05 » portant amendement du préambule, des articles 1er, 2, 9, 22 et 30 du protocole A/P1/7/91 relatif à la Cour de Justice de la Communauté ainsi que de l’article 4 paragraphe 1 de la version anglaise dudit protocole signé à Accra le 19 janvier 2005, jugé et dit que :

le Protocole additionnel A/SP.1/01/05 du
19 janvier 2005 n’est pas opposable à l’Etat du Bénin pour n’avoir pas été ratifié en vertu d’une loi votée par l’Assemblée nationale, promulguée et publiée au Journal officiel.
les gouvernements successifs qui ont donné
suite aux différentes procédures engagées sur le fondement du Protocole additionnel de la CEDEAO A/ SP.1 /01/05 du 19 janvier 2005 en l’absence d’une loi de ratification, promulguée et publiée au Journal officiel, ont violé l’article 35 de la Constitution.
tous les actes qui résultent de la mise en œuvre du Protocole additionnel de la CEDEAO A/ SP.1 /01/05 du 19 janvier 2005 sont non avenus à l’égard du Bénin.
Cette décision de la Cour constitutionnelle du Bénin n’a pas rencontré l’assentiment de Djidénou Steve KPOTON qui n’a pas d’ailleurs manqué de l’exprimer. A rebours, la désapprobation de ladite décision par le commentateur ne reçoit pas notre approbation. Sans trop tergiverser, allons à l’essentiel. En s’inspirant du professeur Paul Amselek, nous exposerons d’abord les arguments du commentateur (I) avant de passer ensuite à leur examen (II).

L’EXPOSE DES ARGUMENTS DU COMMENTATEUR
Les arguments du commentateur sont publiés dans deux organes de presse et disponibles en ligne. La première publication, intitulée « Cour de Justice de la CEDEAO : arguments techniques contre la décision de la Cour constitutionnelle du Bénin » est faite dans l’organe de presse « banouto » le 07 mai 2020 et la seconde, intitulée « Décision n°20-434 du 30 avril 2020 : après la réflexion des deux universitaires togolais qui soutiennent la position de la Cour constitutionnelle du Bénin, Steve KPOTON relance le débat » dans l’organe de presse « notre époque » le 10 juin 2020 sauf erreur de notre part. Dans ses deux publications qui sont complémentaires, le commentateur a pris le contre-pied de la décision de la Cour constitutionnelle en soutenant que le Protocole additionnel suscité reste bel et bien opposable à l’Etat béninois. Pour éviter de trahir l’idée du commentateur, nous avons opté d’exposer ici presqu’in extenso ses arguments qui sont tirés aussi bien du droit externe (A) que du droit interne (B).

A : L’exposé des arguments tirés du droit externe

Pour le commentateur, la base granitique de la thèse de l’opposabilité du Protocole additionnel, qui emporte l’inopposabilité de la Décision de la Cour, même pour l’avenir, est construite autour de deux idées. Il s’agit de moyens tirés, d’une part, du droit international et d’autre part, des principes de droit communautaire dont celui de la CEDEAO.

En droit international, le contentieux de la ratification imparfaite est organisé par l’article 46 de la Convention de Vienne qui dispose : « Le fait que le consentement d’un Etat à être lié par un traité a été exprimé en violation d’une disposition de son droit interne concernant la compétence pour conclure des traités ne peut être invoqué par cet Etat comme viciant son consentement, à moins que cette violation n’ait été manifeste et ne concerne une règle de son droit interne d’importance fondamentale ». Cependant, cette disposition admet en effet des limites qui mérite[nt] d’être relevées et appliquées à l’espèce. Au titre de ces limites, il y a l’article 45 de la Convention de Vienne et le principe de l’Estoppel. En substance, un Etat qui s’est toujours comporté de façon constante vis-à-vis d’un traité international comme s’il l’avait régulièrement ratifié ne saurait encore invoquer son droit fondamental, sa Constitution en espèce, pour s’opposer à l’application du traité.

Et même si nous l’admettons, comme l’ont fait nos maîtres, que parmi tous les Etats parties au Protocole additionnel, le Bénin ne l’ayant pas ratifié régulièrement, le défaut de cette mention ou procédure fait du Bénin un tiers par rapport à cet instrument. Et qu’il faut en déduire que l’engagement des autres Etats ne saurait l’obliger : « pactatertiis nec nocent nec prosunt ». L’argument tiré de cette fiction juridique ne saurait aussi faire obstacle à la compétence de la Cour-Cedeao à l’égard du Bénin sur le fondement de l’article 9 alinéa 4 du Protocole additionnel. En droit international en effet, cet argument connaitrait un échec face au principe du forum prorogatum. L’Etat béninois, sans ratifier régulièrement le protocole additionnel, a plusieurs fois participé aux instances de la Cour-Cedeao sur le fondement de l’article 9 alinéa 4 en débat, il a plusieurs fois plaidé sur le fond sans jamais faire objection à une décision et n’a jamais soulevé l’incompétence de la Cour-Cedeao sur le fondement de l’article suscité. Donc, à supposer que le défaut de ratification fait de lui un Etat tiers vis-à-vis du Protocole additionnel, le principe du forum prorogatum l’y intègre parfaitement.

En droit communautaire, la décision de la Cour constitutionnelle du Bénin en date du 30 avril ne peut être invoquée par l’Etat béninois pour annuler de façon rétroactive les effets de l’article 9 alinéa 4 et s’opposer à l’application du Protocole additionnel. Il ne peut l’invoquer pour suspendre leur application sur son territoire puisqu’il est débiteur des mesures nécessaires à prendre pour leur effectivité dans son ordre interne. Au surplus, concernant l’opposabilité de l’article 9 alinéa 4 dans l’ordre interne, à moins de vouloir se prévaloir de sa propre turpitude, l’Etat béninois ne saurait dénier à ses ressortissants ce droit acquis de saisir la Cour-Cedeao pour violation des droits de l’homme, même si le juge constitutionnel a décidé de faire fi du principe de « l’effet cliquet » consacré par sa propre jurisprudence dans sa décision DCC 10-049 du 5 avril 2010. En toute hypothèse, le droit communautaire ne produit pas de normes asymétriques pour les Etats membres de la communauté. Tant que d’autres citoyens de la communauté pourront saisir la Cour-Cedeao sur le fondement de l’article 9 alinéa 4 du Protocole additionnel, ceux du Bénin continueront à le faire. A moins de retirer le Bénin de la CEDEAO. Au demeurant, l’opposabilité des dispositions de l’article 9 alinéa 4 à l’Etat béninois est soutenable en droit. Quels que soient les motifs, les principes de l’exécution de bonne foi des traités, de l’Estoppel et du forum prorogatum constituent un mur infranchissable pour la Décision de la Cour constitutionnelle.

Le commentateur ne s’est pas seulement arrêté sur les arguments tirés du droit externe pour démontrer l’opposabilité du Protocole additionnel à l’Etat béninois. Il a aussi fait appel aux arguments tirés du droit interne pour montrer à la Cour constitutionnelle ce qu’elle aurait dû faire.

B : L’exposé des arguments tirés du droit interne

Qu’aurait dû faire le juge constitutionnel lorsque sa patrouille, sur le fondement de l’article 145.1 de la Constitution béninoise, a surpris l’article 9 alinéa 4 du Protocole additionnel 15 ans après sa mise en circulation ? Deux possibilités s’offraient à la Cour pour corriger ce disfonctionnement. D’une part, elle dispose de moyens matériels tirés de la Constitution et conformément à la tradition du Bénin en matière de protection des droits fondamentaux. D’autre part, la Cour dispose également de pouvoirs tirés de l’article 114 de la Constitution béninoise révisée pour redresser la situation.

En ce qui concerne les moyens rationae materiae dont dispose la Cour, il faut préciser que sa Décision fait suite à une requête dirigée contre l’article 9 alinéa 4 du Protocole additionnel relatif à la Cour-Cedeao. Ce qui est en jeu en réalité, c’est la compétence de la Cour-Cedeao à connaître des violations des droits de l’homme dans les Etats membres, donc commises sur le territoire national dont l’Etat béninois est garant devant l’organisation et dont répond le gouvernement. Alors, doit-on isoler cet enjeu de l’actualité du retrait le 23 avril 2020 par le gouvernement de la déclaration de l’article 34 (6) du protocole portant création de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ? Sans doute non. Dans son dictum, la Cour n’a pas pu remettre les pendules à l’heure. L’article 9 alinéa 4 du Protocole additionnel dispose que : « La Cour est compétente pour connaître des cas de violation des droits de l’Homme dans tout Etat membre ». Ainsi, tout comme la Cour africaine (jusqu’au retrait le 23 avril 2020 par le gouvernement de la déclaration de reconnaissance de compétence pour la saisine directe des individus et des ONG), les ressortissants Béninois peuvent saisir la Cour-Cedeao pour violation des droits de l’homme. En d’autres termes, le retrait de la possibilité de la Cour africaine n’aura aucun effet dans la mesure où la Cour-Cedeao assure les mêmes sanctions juridictionnelles et applique pratiquement les mêmes instruments internationaux. Le juge constitutionnel béninois ne saurait ignorer l’actualité de ces faits au regard du droit matériel en jeu. Dans le préambule de la Constitution qu’il s’est librement donné, le peuple béninois proclame « la détermination du Bénin de créer un Etat de droit et de démocratie pluraliste dans lequel les droits fondamentaux de l’Homme, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus » et réaffirme l’attachement aux « principes de la démocratie tels qu’ils ont été définis par les instruments juridiques régionaux et internationaux ». En quoi les dispositions de l’article 9 alinéa 4 du protocole additionnel contrarient cette proclamation de foi du peuple béninois ? D’ailleurs, le même Etat béninois, après avoir signé le Protocole additionnel relatif à la Cour-Cedeao en 2005, le 08 février 2016, a déposé la déclaration de reconnaissance de juridiction prévue à l’article 34 (6) du Protocole portant création de la Cour africaine, qui accorde le même droit de saisine directe d’une juridiction supranationale pour violation des droits de l’homme que celui garanti par l’article 9 alinéa 4 du Protocole additionnel. Ce qui traduit une tradition de protection et de sanction juridictionnelle au niveau supranational, un droit matériel inscrit en marbre dans le préambule de la Constitution béninoise, toujours sauvegardé et protégé par le juge constitutionnel béninois. De ce qui précède, la Cour qui est garante de la protection des droits fondamentaux devrait aller au-delà de l’article 145.1 de la Constitution et tirer de son droit constitutionnel et de sa jurisprudence mais aussi du droit communautaire et du droit international des droits de l’homme des moyens matériels disponibles pour faciliter la circulation de l’article 9 alinéa 4 dont le contenu matériel épouse l’une de ses missions. Quand bien même la Constitution serait « l’horizon indépassable du juge constitutionnel », pour emprunter l’expression à Jean Combacau et à Serge Sur, son implication dans l’application des normes internationales est indiscutable. Dans ce rôle, il devient un surveillant bienveillant du déploiement de l’Etat à travers sa politique juridique extérieure qu’il doit autant que faire se peut concilier de manière apaisante avec l’ordre constitutionnel dont il est le garant. Chacune de ses interventions, à cet effet, doit incarner, dans tous ses retranchements, sécurité juridique et protection des droits fondamentaux. Sur cette base, le juge constitutionnel aurait dû constater les contradictions de son dictum avec les principes de l’exécution de bonne foi des traités, du forum prorogatum et de l’Estoppel, de l’autonomie et de l’unicité du droit communautaire, principes consacrés par le droit international.

Quant aux pouvoirs de la Cour tirés de l’article 114 de la Constitution béninoise révisée, il faut souligner qu’elle est selon les dispositions de cet article « (…) l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ». L’article 9 alinéa 4 du Protocole additionnel dans sa matière n’est pas contraire à la Constitution. Dans ses prérogatives d’organe régulateur, la Cour aurait dû ordonner à l’Assemblée nationale et au pouvoir exécutif notamment le président de la République les mesures à prendre pour corriger ce disfonctionnement. C’était le chemin du bon sens juridique. Mais, en jugeant comme elle l’a fait, la Cour crée une situation d’insécurité juridique et un précédent qui fait déjà tache dans ses œuvres jurisprudentielles. Car, si la Cour peut juger ainsi qu’elle l’a fait dans la décision DCC 20-434, c’est qu’il serait possible dans le futur pour une autre Cour de remettre par exemple en cause avec effet rétroactif la Loi n° 2019-40 du 7 novembre 2019 portant modification de la Constitution du 11 décembre 1990 au motif que le parlement d’alors aurait violé la procédure de révision au regard des prévisions de la Constitution du 11 décembre 1990 en la matière. Après l’exposé des arguments du commentateur, le moment est venu de procéder à leur examen.

L’EXAMEN DES ARGUMENTS DU COMMENTATEUR
L’observation minutieuse des arguments du commentateur révèle qu’ils ne sont pas solides : ce sont des arguments spécieux. Il convient de préciser qu’après sa première publication dans l’organe de presse « banouto » dénonçant la décision de la Cour constitutionnelle, deux professeurs de droit (Dodzi KOKOROKO et Adama KPODAR) ont signé collégialement un article dans le même organe intitulé « La plainte constitutionnelle contre l’article 9 du protocole additionnel A/SP.1/01/05 de la Cour de Justice de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CJC), élargissant sa compétence aux violations des droits de l’homme dans les Etats membres donne l’occasion à la Cour constitutionnelle du Bénin de remettre certaines pendules à l’heure » lesquels, tout en regrettant certaines motivations de la Cour constitutionnelle, affirment que sa décision n’est pas un coup d’Etat du droit. Non convaincu de la position prise par les deux professeurs, le commentateur revient à la charge dans une seconde publication en affirmant dans ses propos introductifs : « A notre sens, la position soutenue par nos maîtres serait passée si la décision de la Cour intervenait quelques semaines ou quelques mois après la signature du protocole additionnel ou tout au moins avant son entrée en vigueur définitive ». Il ressort de cette affirmation du commentateur que le Protocole additionnel est entré en vigueur à titre définitif. Or, selon nos renseignements auprès du greffe de la Cour de Justice de la Communauté en date du 11 juin 2020, le Protocole additionnel n’est pas encore entré en vigueur à titre définitif parce que n’ayant pas été ratifié par au moins neuf (09) Etats. C’est son entrée en vigueur à titre provisoire qui court actuellement. En nous basant sur cette réalité, nous pouvons affirmer alors avec le commentateur que la position soutenue par les deux professeurs passe et son argumentation s’éboule comme un château de cartes. Si nous étions dans un match de football avec les anciennes règles qui régissaient la prolongation, il y aurait mort subite. Mais, puisque les nouvelles règles interdisent la mort subite, nous allons nous permettre de continuer le match en examinant tour à tour les arguments du commentateur tirés du droit externe (A) et ceux tirés du droit interne (B).

A : L’examen des arguments tirés du droit externe

Les arguments du commentateur qui nous intéressent ici sont les principes de la bonne foi, de forum prorogatum, et de l’estoppel.

La question fondamentale qui se dégage de la décision de la Cour constitutionnelle à notre sens est de savoir comment les engagements internationaux sont insérés dans l’ordre juridique interne (voir dans ce sens l’article du professeur Arsène Joël ADELOUI dans la Revue Béninoise des Sciences Juridiques et Administratives). Il s’agit de la question de l’entrée en vigueur des engagements internationaux. Dans le cas d’espèce, l’article 11 du Protocole additionnel dispose : « 1. Le présent Protocole Additionnel entre en vigueur à titre provisoire dès sa signature par les Chefs d’Etat et de Gouvernement. En conséquence, les Etats membres signataires et la CEDEAO s’engagent à commencer la mise en œuvre de ses dispositions.

2. Le présent Protocole entrera définitivement en vigueur dès sa ratification par au moins neuf (9) Etats signataires, conformément aux règles constitutionnelles de chaque Etat membre ». Il appert des dispositions de cet article que le Protocole additionnel entre en vigueur à titre provisoire dès sa signature et à titre définitif dès sa ratification. Si le Protocole additionnel prévoit qu’il entre en vigueur à titre définitif dès sa ratification, il n’y a aucun doute qu’il n’est pas un traité en forme simplifiée qui peut entrer en vigueur à titre définitif par le biais de la signature. Il est alors un traité en forme solennelle. Dès lors, une question apparaît : comment un traité en forme solennelle peut-il entrer en vigueur à titre provisoire dès sa signature ? Une réponse affirmative assortie de conditionnalités peut être donnée. Pour que cela puisse être possible, il faut recourir à la technique de la séparabilité des dispositions du Protocole additionnel. En ce sens, nous adhérons à la position des professeurs Dodzi KOKOROKO et Adama KPODAR qui distinguent d’un côté les dispositions du Protocole additionnel qui n’ont pas besoin d’une ratification avant d’entrer en vigueur et de l’autre côté celles qui en ont besoin avant d’entrer en vigueur. C’est le cas notamment des dispositions de l’article 9 alinéa 4 du Protocole additionnel qui ne peuvent pas entrer en vigueur à titre provisoire parce qu’elles bousculent les règles constitutionnelles des Etats. Elles ne peuvent entrer en vigueur qu’après ratification faite en bonne et due forme. Mais, il convient de signaler que la position que nous défendons n’a pas été suivie par l’Etat béninois, la Cour de Justice de la Communauté et la Cour constitutionnelle du Bénin. Ce qui est bien regrettable. Pour ces trois institutions, c’est l’’intégralité des dispositions du Protocole additionnel qui entre en vigueur à titre provisoire dès sa signature. Ainsi, les dispositions de l’article 9 alinéa 4 dudit Protocole entrent en vigueur à titre provisoire dans l’ordre juridique interne par effraction. Qu’à cela ne tienne. L’Etat béninois a régulièrement répondu à ses assignations devant la Cour de Justice de la Communauté et n’a jamais contesté sa compétence. En répondant aux convocations de la Cour de Justice de la Communauté avant la décision de la Cour constitutionnelle, l’Etat béninois a satisfait au principe de la bonne foi dans l’exécution du Protocole additionnel entré en vigueur à titre provisoire dans son intégralité à son égard. Si le Protocole additionnel était entré en vigueur à titre définitif sans avoir été ratifié par l’Etat béninois et que ce dernier ait continué à reconnaître la compétence de la Cour de Justice de la Communauté dans la mise en œuvre des dispositions de l’article 9 alinéa 4 dudit Protocole, le principe de forum prorogatum deviendrait effectif. Or, tel n’est pas le cas. Par conséquent, ce principe devient inopérant dans le cas d’espèce. Il en est de même pour le principe d’Estoppel qui ne peut prospérer également dans le cas d’espèce. L’Etat béninois a régulièrement exécuté ses engagements vis-à-vis du Protocole additionnel avant la décision de la Cour constitutionnelle. Le Protocole additionnel n’étant pas entré en vigueur à titre définitif, l’Etat béninois a, au regard de la décision de la Cour constitutionnelle, deux choix : soit il le ratifie soit il fait jouer l’alinéa 2 de l’article 25 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 en notifiant aux autres Etats son intention de ne pas devenir partie au Protocole additionnel. L’application provisoire du Protocole additionnel peut prendre fin à l’égard de l’Etat béninois sans que celui-ci ne se retire de la CEDEAO comme le commentateur l’a laissé entendre. Alors, quel(s) préjudice(s) les autres Etats subiraient-ils de la mise en branle par l’Etat béninois de ces deux choix au point d’engager sa responsabilité communautaire ?

A la suite de l’examen des arguments du commentateur tirés du droit externe, il importe de scruter également ses arguments tirés du droit interne.

B : L’examen des arguments tirés du droit interne

L’argument du commentateur qui retient notre attention ici est celui des pouvoirs conférés à la Cour constitutionnelle par l’article 114 de la Constitution béninoise révisée.

En effet, selon les dispositions de l’article 114 de la Constitution béninoise révisée, la Cour constitutionnelle «  (…) garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques ». Certes. Mais, elle ne peut pas, sous la bannière du même article 114 qui dispose qu’elle est « (…) l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics », enjoindre au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif de prendre les mesures nécessaires pour ratifier le Protocole additionnel. D’ailleurs, en quoi la non ratification du Protocole additionnel bloque-t-elle le fonctionnement normal des institutions et de l’activité des pouvoirs publics pour que la Cour constitutionnelle mette en branle son pouvoir régulateur ? Peut-elle mettre en œuvre son pouvoir régulateur dans le cas d’espèce sans enfreindre au principe classique de séparation des pouvoirs dans une démocratie libérale ? Il ne revient pas à notre sens à la Cour constitutionnelle d’ordonner au président de la République de faire ratifier le Protocole additionnel. Le fait d’affirmer que le Protocole additionnel n’est pas opposable à l’Etat béninois parce qu’il n’a pas été ratifié suffit. Elle a joué sa partition. Il revient aux pouvoirs compétents de tirer les conséquences de la décision de la Cour constitutionnelle évoquées supra qui s’imposent. A supposer même qu’elle ordonne au président de la République de faire procéder à la ratification du Protocole additionnel et que celui-ci refuse de s’exécuter, que pourra-t-elle faire ? Suffit-il qu’elle ordonne pour que le président de la République s’exécute ? Pourra-t-elle ratifier le Protocole additionnel elle-même ? Elle n’a pas cette compétence. Pour corroborer son argumentation, le commentateur convoque un exemple qui ne nous paraît pas satisfaisant que voici : « Mais, en jugeant comme elle l’a fait, la Cour crée une situation d’insécurité juridique et un précédent qui fait déjà tache dans ses œuvres jurisprudentielles. Car, si la Cour peut juger ainsi qu’elle l’a fait dans la décision DCC 20-434, c’est qu’il serait possible dans le futur pour une autre Cour de remettre par exemple en cause avec effet rétroactif la Loi n° 2019-40 du 7 novembre 2019 portant modification de la Constitution du 11 décembre 1990 au motif que le parlement d’alors aurait violé la procédure de révision au regard des prévisions de la constitution du 11 décembre 1990 en la matière ». A cet exemple, nous pouvons opposer le principe de l’autorité de la chose jugée (voir une fois encore l’article du professeur Arsène Joël ADELOUI dans la même revue évoquée supra) étant donné que ladite loi a déjà fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité avant sa promulgation.

En conclusion, il ne serait pas superfétatoire de faire un clin d’œil aux effets de la décision de la Cour constitutionnelle. Sur cette question, nous partageons entièrement une fois encore la position des professeurs Dodzi KOKOROKO et Adama KPODAR. Deux solutions sont envisageables dans le silence de la décision de la Cour constitutionnelle. Les obligations exécutées par l’Etat béninois au titre du Protocole additionnel envers les autres Etats, la Cour de Justice de la Communauté et les individus ne sauraient être revues, puisque nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Sur le reste des points, la décision de la Cour n’aura qu’un effet pour l’avenir sous réserve des recours pendants devant la Cour de Justice de la Communauté et impliquant l’Etat béninois. Mais, il faut relever que pour des motifs de cohérence de l’ordre juridique interne, la décision du 30 avril 2020 aura un effet immédiat, et peut même rétroagir sur les actes internes pris par cet Etat relativement à l’exécution dudit Protocole sans préjudice pour les droits considérés comme acquis. C’est de la discussion que jaillit la lumière. Nous restons donc à l’écoute !

Fait au Centre Saint Ambroise sis à Djougou, le 13 juin 2020.

Jérémie Essotina KPATAHERI, doctorant en droit public à l’Université d’Abomey-Calavi.

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