Le Journal de NOTRE EPOQUE

Journal béninois d’investigation, d’analyses et de publicité – Récépissé N° 953/MISPCL/DC/DAI/SCC du 27 mars 2007

Le Coronavirus au Bénin : A cœur vaillant rien d’impossible

OUPS ! Les vacances de Pâques ont été avancées, et un cordon sanitaire créé autour de zones dites sensibles. Vive les Vacances. Fini le temps des durs labeurs, dansons maintenant. Même si la réflexion semble tendancieuse elle n’est pas dénudée de sens ? Et beaucoup d’autres questions comme celles-là trottent encore dans nos têtes. Halte donc à ceux qui jubilent déjà, et qui pensent que la fermeture programmée des écoles dans une semaine pour 15 jours est une solution. Que de gymkhana pour rien serons-nous d’emblée tenter de dire. Mais, l’heure est à l’union sacrée, parce que le COVID19 cet ennemi commun ne connait ni seigneur ni mendiant.

La psychose à juste titre :

Nous avions constaté, la montée en puissance de la psychose dans le pays et l’avions signalé. Des leaders d’opinion très critiques demandant la fermeture immédiate des écoles voire le confinement total de la population, qu’on puisse la nourrir ou non, au clergé catholique qui sans autre forme de procès a annoncé la fermeture de ses écoles, notre pays avait déjà failli basculer dans la zizanie. Le mot n’est pas fort surtout lorsqu’on sait que les valeureux juges de la cour constitutionnelle se sont cachés en dessous de leurs capes laissant portes closes et que les étudiants de l’Université d’Abomey-Calavi ont fini par leur emboîter le pas en décidant unilatéralement de vider les amphithéâtres.

La psychose, la peur panique a pris le dessus sur l’intelligence et le raisonnement scientifique, du seul fait de l’absence d’une figure autoritaire, une figure qui met en confiance, une figure qui donne la preuve que la situation est en de bonnes mains. Il est alors de bon ton, que nous raillions un peu la sortie médiatique du 23 mars 2020 de Monsieur le Secrétaire Général du Gouvernement Edouard OUIN-OURO, sorti de nulle part.

Toute cette mélodie dissonante est donc à notre humble avis, due à l’opacité de la communication, mais surtout à l’absence d’autorité. Et force est de reconnaître que le peuple béninois s’il n’est pas rassuré ne respectera pas les nouvelles dispositions. Les échanges sur les réseaux sociaux en disent toujours longs.

Le gouvernement, le 23 mars 2020, en réaction à toute cette cacophonie, a réagi avec certaines décisions comme:

– anticiper les vacances scolaires initialement prévues aux 10 avril et de les ramener du 30 mars au 13 avril et de reprogrammer les rentrées scolaires vaille que vaille

– créer un cordon sanitaire autour de communes supposées plus exposées que les autres.

Il a aussi été demandé aux populations

– de réduire leurs déplacements sur l’étendue du territoire national

– de réduire leur vie sociale sur les lieux de plaisance (plage, place des fêtes et autres).

Le transport des marchandises reste néanmoins, autorisé, et les Forces de Défense et de Sécurité seraient instruites pour veiller au respect des mesures.

Faire correctement face à la Crise :

Un scénario minimaliste chez nous suppose qu’avec les fermetures des frontières par nos voisins, pour nous ou par nous-mêmes pour nous, et le confinement devenu systématique des voyageurs arrivant des zones très endémiques, le risque d’épidémie chez nous sera minime.

Un scénario catastrophique suppose, que les quelques cas contacts perdus de vue ou d’autres cas qui auraient échappé à la surveillance et se baladant dans la nature, infestent massivement les populations et que les foyers locaux s’activent bientôt à plusieurs endroits.

Il convient de garder la tête froide et d’avoir des réactions mesurées. La grippe saisonnière tue plus de 10 000 personnes chaque année en France et en moins de 6 mois.

Il convient de rappeler, que le paludisme à la fin de l’épidémie aura tué plus de Béninois que le COVID19. Néanmoins, il est certain, qu’il faut éviter les morts inutiles dues au COVID19, et éviter les fameux dégâts collatéraux dus aux bavures policières.

Rappelons s’il le faut encore, que notre constitution stipule en son article 8, que la personne humaine est sacrée et inviolable. L’État a obligation de la protéger. Il lui assure plein épanouissement. A cet effet il assure à ses citoyens l’égal accès à la santé….

Le nouvel ennemi est redoutable :

Les grandes puissances du monde entier livrent d’âpres combats et sont désemparées. Le nombre de cas avérés et de décès change minute par minute. Entre l’apparition des premiers symptômes et le décès, il se passe à peine 14 jours, et le taux de mortalité avoisine 3.4% des malades variant d’un pays à l’autre.

Tous le monde a peur. Les riches, les pauvres, les princes et les rois comptent parmi les cas positifs. Tout le monde peut en mourir.

La crainte de nos populations est donc légitime, et pour nous épidémiologistes la question reste et demeure : comment se prépare le Bénin contre cet ennemi redoutable? Comment nos autorités compétentes se préparent-elles à défendre l’intégrité de nos personnes au titre de l‘article 8 de la constitution? Comment allons-nous survivre au nouveau Coronavirus ? Combien de béninois survivront à ce désastre, s’ils n’ont pas été tués par balle parce que mus par la peur ils refusent les attroupements. ?

Combattre le COVID19 :

L’atteinte principale du COVID19 est pulmonaire, avec des lésions typiques décrites au scanner. La lutte contre le COVID19 à l’étape actuelle des choses requiert 3 lignes directrices :

1- Une stratégie de confinement ou non confinement bien partagée avec le peuple.

2- Des moyens matériels et pharmaceutiques bien définis.

3- Des ressources humaines bien identifiées et formées.

La stratégie du bénin est peu claire :

Sur le site du gouvernement du Bénin, en cliquant sur l’onglet CORONAVIRUS on lit : 5 cas confirmés, 5 cas en traitement, zéro cas guéri, zéro cas décédé.

La gestion du nouveau coronavirus au Bénin est à l’image de ce flou artistique. Il convient de nous dire ce qu’on entend par cas confirmé chez nous. Est-ce des cas avérés : clinique (Toux sèche, fièvre, détresse respiratoire) + test biologique, ou clinique plus scanner thoracique, ou encore clinique plus radiographie des poumons. Combien de cas contact actuellement en confinement (au stade zéro de l’épidémie on peut tenir de telle statistiques). Le corps médical doit le savoir.

Nous sommes en queue de comète, et il est important d’améliorer les modèles importés. En somme il est important d’aborder différemment cette épidémie par rapport à la France. Nous n’avons pas les mêmes technologies, nous n’avons pas de chercheurs à pied d’œuvre 24/24, nous n’avons pas de comités scientifique aguerri, aucun investissement n’ayant jamais été fait dans ce sens. Il est important sans outils technologie de grande valeur, d’utiliser le génie de nos scientifiques à nous, et de mettre la probité, l’honnêteté et les statistiques au service de notre épidémiologie afin de sauver le plus grand nombre.

En temps de crises, en temps de guerre, mais surtout en temps d’épidémies les règles doivent être écrites et claires et les sanctions aussi très claires. Le communiqué radiodiffusé du ministre de l’Intérieur, du 27 mars 2020 décrivant les mesures ne parle pas des sanctions. Nous avons besoin de savoir ce que nous risquons si nous contrevenons aux recommandations: des coups de fouets des coups de ceinture des tortures physiques et morales comme on le voit dans certains pays du monde, une simple amende, ou une balle en plein cœur.

Pour ce qui est du confinement la question n’est plus de savoir ce que les scientifiques béninois pensent, les lignes directrices étant tracées et un cordon sanitaire délimité. Il n’y a donc pas de confinement. Nous nous réjouissons que l’aspect commercial soit préservé. C’était la crainte de certains d’entre nous.

Comme les populations, nous nous demandons quels sont les moyens matériels de lutte contre le COVID19 au Bénin. On nous a annoncé 10 milliards de FCFA pour gérer la pandémie et la BOAD fait une aide de 15 milliards en plus : tout cela est fait pour nous rassurer ? Eh bien non. Si jamais il y a afflux de malades où seront-ils reçus? C’est une question essentielle, le centre d’isolement installé dans l’école de police à Cotonou ou le futur centre d’Abomey-Calavi en cours de construction nous semblant inadaptées.

En effet si l’épidémie se déclarait réellement avec des patients graves, notre pays n’a pas la technologie utile pour le transport en toute sécurité des patients et du personnel.

Aussi est-il légitime de se demander, quelle sera l’implication des hôpitaux de zone, dans la prise en charge de la pathologie ? De combien de lits disposons-nous en tout, à Cotonou, Porto-Novo Abomey-Calavi, Ouidah Parakou Natitingou etc… ? Dans chaque arrondissement ? De combien de lits de réanimation et de soins continus disposons-nous ? De combien d’unités de ventilation disposons nous en tout ? Les cliniques privées sont-elles ou seront-elles impliquées ?

La roulette russe :

Notre population est jeune et le taux de mortalité devrait être bas. Mais doit-on à ce point jouer à la roulette russe avec la vie de la population ? En temps qu’épidémiologistes, il nous semble évident que les petits centres d’isolement pour le COVID19 ne seront pas efficaces. Nous doutons sur la nécessité d’avoir à l’image de la Chine des centres d’isolement. Le COVID-19, nécessite en effet des médecins qualifiés, de la présence de personnel paramédical de qualité, les mêmes qui s’occupent des autres patients qui devront être pris en charge correctement et concomitamment. Notre pays a-t-il des ressources humaines suffisantes comme la Chine, à dispatcher sur tous les nouveaux centres ?

Il nous semble qu’à l’heure actuelle à peine un ou deux scanners fonctionnent bien au Bénin. Faut-il rappeler que le diagnostic des lésions pulmonaires ne se fait qu’au scanner ? Que fait-on de ce côté-là ? Va-t-on aussi déplacer les scanners ?

C’est aussi ici le lieu de se poser de sérieuses questions sur le diagnostic biologique. Notre pays en dispose t-il assez pour le dépistage au moins des cas suspects et des cas contacts ?

Bref, beaucoup de questions foisonnent dans la tête des cliniciens, épidémiologistes et chercheurs que nous sommes. Le COVID 19 est une pandémie mondiale qui va très vite. Tel un ouragan, il dévaste tout sur son passage. A l’heure de la mondialisation dont il est un produit fini, le COVID 19 peut nous surprendre malgré le jeune âge de notre population. Il convient donc de réfléchir, de bien réfléchir ensemble et si possible de travailler ensemble.

Les mesures actuelles nous paraissent malheureusement techniquement décalées par rapport à la réalité de chez nous, sauf si le pari n’a été fait que sur un scénario minimaliste.

Citoyens béninois et fiers de l’être :

Notre insistance vient du fait qu’à la date d’aujourd’hui, nous avons l’avantage de voir ce qui se passe ailleurs, et qu’il nous semble normal de partager notre expérience. Il est utile de le rappeler au cas où la vie des béninois aurait encore un coût. Nous ne sommes ni des apatrides ni des ennemies de la nation. Nous ne détenons pas la science infuse. Nous avons juste peur, peur que ce qui se passe ici arrive là-bas, peur des prédictions de l’OMS pour l’Afrique, prédictions qui tiennent compte d’autres indicateurs de santé que la jeunesse de notre peuple, prédictions qui tiennent compte des autres comorbidités qui naturellement font déjà que nous avons un taux de mortalité haut.

Citoyens béninois aussi, peut-être capables de donner un coup de main pour la gestion de la logistique nationale et internationale. Comprenne qui voudra.

Vaincre le COVID 19 au Bénin :

Pour vaincre le COVID19 au Bénin, il est indispensable sur le plan structurel d’être plus ordonné et plus clair.

– Un état major COVID19 bien identifié : Pour l’instant il n’y a pas de figure COVID19 identifiée et identifiable de façon claire, de même qu’aucune équipe visible, alors qu’il est certain que cette équipe ne dort pas. Le peuple doit savoir dans quelles mains se trouve son destin.

– Il faut des lois claires qui s’adaptent à la situation. Le législateur doit donc se mettre au travail. Une crise sanitaire c’est aussi des questions de législation urgente. Par exemple : établir un cordon sanitaire c’est enlever une part de responsabilité aux Béninois. Même si notre constitution le prévoit il faut les textes pour le réglementer.

– Une gestion épidémiologique limpide. Nous avons au Bénin des hommes compétents qui sont aux commandes de cette crise. Il faut juste privilégier la science à la politique dans la gestion du COVID19.

– La formation de ressources humaines à l’échelle nationale et par des hommes compétents. Les médecins béninois de la diaspora se rendent disponibles le cas échéant.

– L’implication des hôpitaux de zone est indispensable pour une gestion efficiente de la crise.

– Il faut une union sacrée : les deux signataires de ce papier ne vont pas toujours dans le même sens en matière d’engagement politique. Mais vaincre la crise, c’est parler d’une même voix. N’imitons pas les puissances mondiales qui ont les moyens de leurs dissonances.

– La discipline à toute épreuve de la population est l’atout majeur de lutte contre le COVID19 ; La fameuse loi numérique qui ne profitait jusqu’ici qu’aux magistrats doit permettre de sanctionner les fakes news, mais aussi des appels à ne pas respecter les recommandations nationales.

En somme, parce que les dieux se révèlent toujours assez peu démocrates, il nous faut un regain de démocratie pour faire alliance face à la menace, du COVID19. Plus que par la force et le canon, plus que par l’arrogance, c’est la bataille des cœurs qui viendra à bout de cette pandémie virale. Dans un pays pauvre comme le nôtre, aucune technologie ni aucune technicité ne sera au rendez-vous dans les 12 prochaines semaines. Il faudra beaucoup d’intelligence, beaucoup de cœur.

Ce qui se passe aujourd’hui, dépasse les clivages politiques, les rancœurs ancestrales ou récentes. La nation doit pouvoir prendre conscience d’elle-même pour se créer, ou se récréer. Ensemble nous arriverons certainement beaucoup plus vite à vaincre cette fatalité.

Les médecins et paramédicaux béninois doivent être massivement formés, et par des gens compétents. Le peuple doit déjà commencer par les applaudir. On doit faire si besoin appel aux compétences extérieures qu’elles soient béninoises ou pas et quel qu’en soit le prix à payer. Nous devons être prêts dans les 4 à 8 semaines pour accueillir la déferlante. Être prêts et ne pas l’avoir est le scénario idéal. Nous n’aurions rien perdu.

Nos gouvernants doivent en même temps faire attention à nos maigres ressources économiques. Après le COVID19, la vie doit continuer, et le peuple guéri mais affamé aura vite fait d’oublier les sacrifices, et tous ceux qui ont encouragé à engloutir les économies dans la crise sanitaire seront les mêmes à crier haro sur le baudet.

Dr Tayéwo KOKODÉ Urgentiste épidémiologiste Bénin/France, en collaboration avec

Dr Alexis-Célestin AGBESSI Urgentiste épidémiologiste APHP Bénin/France

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